Les minorités LGBT

LGBT minorities : the billy goats of a power struggle

En Tunisie, les minorités LGBT deviennent les boucs émissaires d’une lutte de pouvoir

Mohamed Rami Ayari est un ex-étudiant en sciences informatiques de 22 ans, fondateur d’une association pour la défense des droits LGBT appelée Without restrictions. Son parcours est lié à l’histoire récente de la Tunisie et illustre la situation des droits humains dans ce pays.[1]

 

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Mohamed Rami Ayari

 

C’est à l’adolescence que Rami comprend qu’il est gay. Prise de conscience terrible : à l’école comme ailleurs, tout ce qu’il entend à propos des gens comme lui, c’est que ce sont « des dépravés voués aux feux de l’enfer ».

Le 17 septembre 2010, la révolution tunisienne est déclenchée, inaugurant ce qu’il est convenu d’appeler le Printemps arabe. Un vent de liberté et de démocratie souffle sur le pays. La société civile s’organise de mieux en mieux. Les membres des minorités sexuelles s’engagent dans ce mouvement historique.

Rami a alors 17 ans. Il lui faudra encore deux ans avant de révéler son orientation à ses amis. La plupart l’assurent alors de leur soutien. Dans sa famille, on se doutait bien de sa situation et on la tolérait, mais à condition qu’il n’en parle pas. Les choses se gâtent quand Rami décide de prendre la parole publiquement. Comme tant d’autres, il se retrouve renié par sa famille et banni du foyer. Qu’à cela ne tienne : Rami est maintenant en paix avec lui-même, et il refuse de retourner dans la clandestinité à cause ce qui il est.

La criminalisation de l’orientation sexuelle, une loi anticonstitutionnelle

En Tunisie, l’article 230 du Code pénal, datant du régime colonial français, rend l’homosexualité passible de trois ans de prison. Or, cette loi archaïque porte atteinte à deux droits fondamentaux garantis par la nouvelle Constitution tunisienne : le droit au respect de la vie privée et le droit de ne pas subir de discrimination. En septembre 2015, dans une déclaration sans précédent, le ministre de la justice a lui-même appelé à la dépénalisation de l’homosexualité.[2] Une association a vu le jour : Shams – Pour la dépénalisation de l’homosexualité en Tunisie, puis a obtenu son accréditation : une première dans l’histoire du pays. Mais le ministre a été limogé, entre autres, pour cette prise de position[3].

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Le 10 décembre 2015, Journée internationale des droits de l’homme, l’association Mawjoudin-We exist a lancé une campagne de soutien aux personnes LGBT. La société civile, des artistes, des partis politiques et autres organisations ont appelé à l’abrogation de l’article 230. Une pétition a été signée par plusieurs célébrités du monde de la culture et des arts. Citons notamment Salma Baccar, Jalila Baccar, Fadhel Jaziri, Raouf Ben Amor, Anissa Daoud, Sana Ben Achour, Sawsen Maalej.
 kapitalis.com/tunisie/2016/01/07/les-6-jeunes-accuses-dhomosexualite-liberes/

 

Il faut bien voir les conséquences d’une telle criminalisation d’un droit humain fondamental sur la vie quotidienne des gens. L’homophobie s’en trouve pratiquement cautionnée. Dans certains médias, le mépris homophobe s’étale au grand jour. La discrimination en emploi, dans le logement, partout, est avalisée. Sur la rue, sur Internet et jusque dans la sphère privée, les menaces et la violence physique jouissent de facto d’une sorte d’impunité. Pour les victimes, le fait même de porter plainte risque de se retourner contre elles : refus par les autorités policières d’enregistrer la plainte, tentative d’extorsion, voire agression physique et sexuelle. En Tunisie, les exemples sont malheureusement nombreux. Ils sont dénoncés autant par Amnistie internationale[4] que par Human Rights Watch[5].

Dans les entrevues qu’il a accordées à certains médias internationaux, Mohamed Rami Ayari a rappelé une conséquence particulièrement perverse de cette loi : ce que les autorités appellent le « test anal », une pratique moyenâgeuse dépourvue de toute validité scientifique, mais censée prouver l’homosexualité et cautionnée par les tribunaux ! Il s’agit purement et simplement d’une atteinte à l’intégrité physique, condamnée, entre autres, par le Syndicat des médecins tunisiens et l’Association médicale mondiale[6]. Le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture assimile cette pratique à de la torture[7].

Les minorités sexuelles, boucs émissaires au sein d’une démocratie fragile

Le Printemps arabe fête aujourd’hui ses cinq ans. Quel bilan peut-on en tirer? Aux yeux de la plupart des analystes, la Tunisie demeure le pays où ce soulèvement pacifique s’est traduit par les plus grandes avancées démocratiques. Pour preuve : il y a quelques mois, le Prix Nobel de la paix était attribué à un groupe d’organismes représentant la société civile tunisienne[8].

Cependant, sous l’angle des droits des minorités sexuelles, le constat est loin d’être rose. D’une part, avec l’abolition de la dictature et la libération de la parole, c’est aussi le réflexe homophobe de la frange la plus conservatrice de la société qui s’est déchainé. À certains égards, la répression qui s’abat aujourd’hui sur les minorités LGBT tunisiennes est pire qu’autrefois.

L’ironie la plus cruelle, c’est peut-être celle-ci : c’est le président lui-même de la Tunisie, Béji Caïd Essebsi, qui avait présenté au comité de sélection du Nobel la candidature de la société civile tunisienne.[9] Or, ce même Essebsi vient de déclarer que sous sa gouverne, jamais l’homosexualité ne sera dépénalisée dans son pays![10] Comment expliquer un tel revirement de situation? Pour Mohamed Rami Ayari, les citoyens LGBT semblent servir de boucs émissaires dans une guerre de pouvoir. La répression de leurs droits servirait à faire foi du conservatisme social de certains.

Poursuivi par des menaces de mort, le président de Shams a dû fuir le pays. Depuis la fin de janvier, l’accréditation de Shams a été suspendue.[11] Au motif? « Défense de l’homosexualité. » En fait, ses membres ont eu le malheur de demander publiquement l’abolition de la loi inique. Les organismes internationaux et la presse internationale se sont émus. Pour Rami comme pour plusieurs, la suspension définitive de Shams serait de très mauvaise augure pour la jeune démocratie tunisienne et pour les autres organisations de la société civile. Heureusement, cette suspension a été cassée par la Cour le 23 février dernier.

Malgré le rejet de sa famille, malgré les insultes et le mépris, Mohamed Rami Ayari demeure optimiste. Il se dit particulièrement confiant dans la jeunesse tunisienne. Mais il est conscient aussi qu’aujourd’hui plus que jamais, la solidarité des communautés internationales est cruciale. C’est pourquoi il mène sa lutte à visage découvert et veut la faire connaitre à travers le monde. Saurons-nous répondre à son appel?

 

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Dans cette photo (Chedly Ben Ibrahim/Demotix/Corbis), prise lors d’une marche célébrant les 5 ans de la révolution tunisienne le 14 janvier dernier, on voit un groupe de militants pour les droits LGBT. Parmi eux, il y a des membres de Shams, dont, à gauche de la photo, le vice-président Ahmed Ben Amor. On reconnait aussi, au centre, Mohamed Rami Aryari de Without Restrictions et l’ex-femen Amina Sboui.

 

[1]                    [1] Ralph Hurley O’Dwyer; Forbidden Love: a student’s struggle for LGBT rights in Tunisia ; Trinity News, 5 janvier 2016. trinitynews.ie/forbidden-love-a-students-struggle-for-lgbt-rights-in-tunisia-2/

[2]                    [2] Amnisty International. Il faut combattre les tabous homophobes en Tunisie. 30 septembre 2015. https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2015/09/challenging-tunisias-homophobic-taboos/

[3]                    [3] AL Huffington Post. Tunisie : Le gouvernement sort de son silence à propos du limogeage du ministre de la justice. 22 octobre 2015. www.huffpostmaghreb.com/2015/10/22/tunisie-gouvernement-mini_n_8358236.html

[4]                    [4] Amnisty International. Tunisie : 6 jeunes hommes condamnés pour sodomie. 14 décembre 2015. www.amnesty.be/je-veux-m-informer/actualites/article/tunisie-6-jeunes-hommes-condamnes-pour-sodomie

[5]                    [5] Human Rights Watch. Éric Goldstein. Les droits des personnes LGBT cinq ans après le soulèvement tunisien. 8 février 2016. www.hrw.org/fr/news/2016/02/08/point-de-vue-les-droits-des-personnes-LGBT-cinq-ans-après-le-soulèvement-tunisien

[6]                    [6] Human Rights Watch. Tunisie: Trois ans de prison pour homosexualité https://www.hrw.org/sq/node/284621

[7]                    [7] Human Rights Watch. Rapport mondial. Événements de 2015. https://www.hrw.org/sites/default/files/report_pdf/wr2016_booklet_frweb.pdf

[8]                    [8] Radio-Canada. ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/10/09/001-prix-nobel-paix-2015.shtml

[9]                    [9] Tuniscope. 10 septembre 2015 www.tuniscope.com/article/79730/actualites/politique/bce-comite-184212

[10]               [10] AL Huffington Post. 6 octobre 2015. www.huffpostmaghreb.com/2015/10/06/tunisie-essebsi-homosexualite_n_8249200.html

[11]          Human Rights Watch. Tunisie : suspension des activités d’une organisation LGBT. 15 janvier 2016. www.hrw.org/fr/news/2016/01/15/tunisie-suspension-des-activités-dune-organisation-lgbt


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