«Faux réfugiés», vraiment?

Envoyé par Comité de solidarité internationale - ALGI (CSI) en date du 22 août 2017 à 09h39 en réponse à Projet de loi anti-LGBT en Haïti (reçu de Radio-Canada / via ALGI le 21 août 2017 à 20h32).
Retour au forum

Le journal Le Devoir publie, en ce matin du 22 aout 2017, une libre opinion signée par un groupe important d'avocats en immigration. Cette lettre jette un regard avisé sur la violation des droits humains en Haïti, notamment concernant les femmes et les LGBTQ+ et permet de mettre en prespective l'arrivée des demandeurs d'asile haïtiens qui fait la manchette de l'actualité.

LIBRE OPINION

«Faux réfugiés», vraiment?

22 août 2017 | Me Guillaume Cliche-Rivard - Vice-président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI) et chargé de cours à la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM | Actualités en société
«Une analyse des demandes de protection récemment acceptées au Canada pour des ressortissants haïtiens nous permet de constater l’étendue et la teneur des persécutions perpétrées dans ce pays», rapportent les signataires.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir«Une analyse des demandes de protection récemment acceptées au Canada pour des ressortissants haïtiens nous permet de constater l’étendue et la teneur des persécutions perpétrées dans ce pays», rapportent les signataires.

Plusieurs ont récemment étiqueté comme « faux » réfugiés les demandeurs d’asile haïtiens venus revendiquer le statut de réfugié au Canada cette année, mais peu d’attention a réellement été portée sur les risques de persécutions craintes par ces derniers. Or, si certains d’entre eux verront possiblement leur demande rejetée, il importe également de souligner que plusieurs de ces demandes seront accueillies en raison de leur caractère authentique et légitime, et ce, face au bilan particulièrement précaire d’Haïti en matière de droits et libertés.

 

Haïti demeure un pays où la règle de droit est trop souvent fléchie par des intérêts pécuniaires, et la perle des Antilles souffre véritablement d’un problème de corruption endémique selon Transparency International. Cette problématique entraîne de graves lacunes face à un système judiciaire chancelant rendant possible un flot d’arrestations illégales et de crimes commis par l’État en toute impunité. Le Human Rights Report de 2016 pour Haïti publié par le département d’État des États-Unis et le Rapport 2016-2017 d’Amnistie internationale sur les droits de la personne dans le monde indiquent avoir répertorié plusieurs cas d’arrestations arbitraires et prolongées, d’usage de la force pour limiter le droit à la liberté d’expression et à la liberté de presse, ainsi que de conditions de détention inhumaines et dégradantes au pays.

 

Toujours selon le Human Rights Report de 2016, Haïti connaît également de graves problèmes de discrimination et de persécution envers les femmes dans un pays où le viol conjugal n’est pas criminalisé et où l’agression sexuelle n’est pas spécifiquement interdite par la loi. Le Code criminel haïtien prévoit également une excuse pour le meurtre d’une femme commis par son époux victime d’adultère.

 

D’importantes persécutions sont également perpétrées à l’encontre de la communauté LGBTQ +, quotidiennement victime d’agressions physiques, de violences verbales et de menaces de mort. Ces agressions sont commises en toute impunité au sein d’un État qui cautionne un tel traitement et qui accumule les embûches légales à la reconnaissance des droits des membres de cette communauté. En effet, au début du mois d’août, le Sénat haïtien votait un projet de loi interdisant le mariage entre personnes de même sexe et criminalisant tout geste susceptible de faire la promotion de l’homosexualité dans le pays. Selon plusieurs intervenants, ce projet de loi sera sans aucun doute adopté rapidement par la chambre basse du Parlement.

 

Demandes acceptées au Canada

 

Face à ces persécutions notoires appuyées par une preuve documentaire abondante, il appert ainsi que plusieurs demandeurs d’asile provenant d’Haïti ont reçu la protection du Canada. En effet, une analyse des demandes de protection récemment acceptées au Canada pour des ressortissants haïtiens nous permet de constater l’étendue et la teneur des persécutions perpétrées dans ce pays.

 

Par exemple, en 2016, l’appel d’un demandeur d’asile craignant des menaces de mort proférées par des bandits armés, alors que la protection policière n’a pas été jugée adéquate, a été accueilli par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Également, l’appel d’une demanderesse craignant les représailles d’un époux violent envers elle et sa famille a aussi été récemment accueilli. L’appel d’un demandeur homosexuel rué de coups, ridiculisé, humilié et maltraité en raison de son orientation sexuelle était également accueilli par la CISR. L’appel d’une demanderesse craignant de graves violences sexuelles en raison de sa situation de femme seule et précaire en Haïti dans les camps de déplacés a aussi été accepté, tout comme le dossier d’une femme ayant fait paraître une lettre ouverte contre le président Martelly et qui avait par la suite reçu des menaces de mort et d’enlèvement.

 

L’étendue des récits et des risques allégués par les demandeurs d’asile entrés récemment au Canada demeure donc particulièrement complexe et propre à chaque dossier et à chaque personne. Chaque revendication doit être étudiée de façon approfondie et, à ce stade, seul un tribunal compétent et spécialisé peut se prononcer sur le caractère authentique ou non de ces craintes de persécutions en vertu de règles de droit définies. Pour le moment, il n’existe donc pas de « faux » réfugié et nul ne devrait tirer de conclusion hâtive quant à ces demandes de protection, et ce, particulièrement par respect devant la gravité des risques allégués.

Signataires:Me Stéphanie Valois, Me Jean-Sébastien Boudreault (Président de l’AQAADI), Me Dan Bohbot, Me Patil Tutunjian, Me Mai Nguyen, Me Chantal Ianniciello, Me Alain Joffe, Me Odette Desjardins, Me Laura Gomez, Me David Berger, Me Stewart Istvanffy (coordinateur de l’Asociacion Americana de Juristas Canada (AAJ)), Me Stéphane Handfield, Me Marie José l’Ecuyer, Me Ho Sung Kim, Me Claude Whalen, Me Sylvie Tardif, Me Angela Potvin, Me Jacques Beauchemin, Me Suzanne Taffot, Me Rawia Ebrahim, Me Richard Goldman, Me Yasmina Benihoud, Me Denis L’Anglais, Me Avi Gomberg, Me Duc Anh Thu Tran, Me Carole Fiore, Me Annie Bélanger, Me Miriam McLeod, Me Ibrahima Dabo, Me Coline Bellefleur, Me Joseph Allen, Me Marie José Blain, Me Rose Bossou, Me Roger Pichette, Me Laurence Delage, Me Guy Nephtali, Me Arash Banakar, Me Miriam Harbec, Me Nilufar Sadeghi, Me Herbert Brownstein, Me Vincent Desbiens, Me Elhadad Johanna et Me Carole Chelhot. 

 


    Répondre Corriger
Répondre     ou Corriger votre message

© Algi [Accueil]