Intersexué, il a été renvoyé par la France

Envoyé par Comité de solidarité internationale - ALGI (CSI) en date du 29 juin 2017 à 20h20
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huffingtonpost.fr publie un article de l'avocat Benjamin Pitcho intitulé Intersexué, il a été renvoyé par la France se faire maltraiter dans son pays. Jusqu'à quand continuera-t-on, dans tous les pays à ignorer les personnes intersexuées?

Il est cinq heures. L'heure à laquelle les amoureux sont fatigués, les traversins sont écrasés.

L'heure à laquelle il a été réveillé, emmené au commissariat. Malgré ses protestations, ses tentatives pour parler à ses avocats, ses appels à des amis, il a été mis dans un avion puis renvoyé dans un pays du Maghreb avec lequel il n'a aucun lien, sinon 20 grammes de papier qui lui assignent une vie ou plutôt une impossibilité de vivre : un passeport.

Car son expulsion vers ce pays risque de lui faire subir des traitements inhumains et dégradants. Lui? C'est une personne intersexuée, qui n'est ni un homme ni une femme mais qui présente, depuis sa naissance, des caractères sexuels primaires et secondaires à la fois masculins et féminins. Certains disent encore "hermaphrodite". Mais lui ne peut vivre que comme un homme et doit donc impérativement poursuivre son traitement médical pour cela.

Ce matin, à 5 heures, il était renvoyé dans un pays qui lui est étranger. Tous les recours formés contre cette décision d'obligation de quitter le territoire français ont échoué, y compris sa demande d'asile. Une équipe informelle d'avocats, à laquelle j'ai participé, s'est mobilisée pour le sauver de ce renvoi et de ses conséquences.

 Hermaphrodite

Il a été rappelé à tous les juges que, dans son pays, les personnes intersexuées étaient méprisées et torturées. Parfois lapidées. Sans autre raison que leur différence qu'ils n'ont pas choisie et contre laquelle ils ne peuvent rien. Il aurait déjà été extraordinaire de permettre de suspendre l'exécution des mesures d'éloignement, pour apprécier la réalité de son état médical. L'ensemble des preuves a été fourni pour démontrer que, si l'expulsion était mise en œuvre, il n'aurait plus accès à son traitement indispensable à sa survie. Une simple mesure d'humanité primaire en quelque sorte.

 Dans une énième demande juridictionnelle, le juge administratif a pourtant décidé que "le traitement entrepris par la requérante, s'il trouve son origine dans le fait qu'elle soit née hermaphrodite, ne correspond pas à une indication thérapeutique mais à un choix personnel de l'intéressée". C'est beau comme l'Antique puisque, in fine, l'administration de tout traitement médical résulte du choix des personnes.

Il a déjà commis des tentatives de suicide. Depuis l'âge de 9 ans. C'est précoce mais c'est en réalité tardif. C'est depuis la naissance que les personnes intersexuées sont tenues dans l'ignorance de leur état et qu'on leur nie le droit d'exister. Il faut aussi rappeler que c'est depuis qu'il a 3 ans qu'il a été victime d'abus sexuels. Alors, toutes ces violences qui ne seront jamais punies l'ont poussé à commettre différentes infractions pour lesquelles, lui, a déjà payé et effectué la totalité de sa peine.

Rien ne lui aura été accordé là-bas et tout lui a été refusé ici

Il a alors été cueilli, sans s'y attendre, un jour comme tous les autres, avec sa tenue quotidienne qui, maintenant, à l'atterrissage dans le pays concerné, va conditionner l'accueil certainement déplorable qui va lui être réservé. Il croyait pouvoir bénéficier d'une aide en France. Mais non. Rien ne lui aura été accordé là-bas et tout lui a été refusé ici. Le législateur et les juges en ont décidé ainsi. Tous les rouages institutionnels ont parfaitement fonctionné, tous les acteurs ont joué leur rôle de cette comédie tragique qui conduira à des souffrances à peine mesurables qu'il va devoir subir. Eloigné de tous ses soutiens, dans ce qui n'est pas son pays, il ramassera peut-être un jour un tesson pour s'ouvrir les veines. Au nom de la République française, du sang va couler sur le sable d'un territoire qui ne veut pas le reconnaître et qui lui est étranger.

Jusqu'à quand continuera-t-on, dans tous les pays à ignorer les personnes intersexuées? Jusque quand leur interdira-t-on, quand ils le souhaitent, de s'inscrire en "sexe neutre" à l'état civil pour qu'ils bénéficient d'une reconnaissance de leur identité?

Jusqu'à quand cette invisibilisation justifiera qu'on opère et qu'on mutile les enfants intersexués pour les conformer à des stéréotypes abusifs d'"homme" ou de "femme" qu'ils ne sont pas et ne deviendront jamais?

Jusqu'à quand continuera-t-on à produire du malheur et des drames par notre confort mental qui nous interdit de sortir de la binarité sexuée qui n'est qu'une fiction?

Il est cinq heures et, dorénavant, je n'ai plus sommeil.


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