Table des matières

Le mensonge par choix...

Envoyé par GDMANIMACHOIX en date du 06 juin 2001 à 23h50
Doté par les dieux, le hasard, la génétique ou ce qu'on voudra d'un naturel sans doute diabolique, j'ai toujours éprouvé beaucoup plus d'attrait pour ce qui est réprouvé que pour ce qui est loué. Le mensonge, quand j'ai pris conscience qu'il existait et en quoi il consistait, m'a d'emblée paru extrêmement intéressant et sympathique. Et ce d'autant que, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, je le pratiquais depuis longtemps sans m'en douter.

Quand j'étais enfant et qu'on me demandait : " A quoi penses-tu?", je répondais toujours : " A rien". Ce qui était faux mais me semblait une réponse sans malice car elle sous-entendait : A rien qui vous regarde". De quel droit m'interrogeait-on sur ma vie intime ? De même quand on me demandait : " Qu'as-tu fait cette après-midi ?", si je l'avais passée à lire, je répondais (j'habitais alors au fin fond de la campagne): " Je me suis promené dans les prairies, dans les bois", et, si je m'étais promené dans les prairies et les bois : " J'ai lu sans discontinuer". Ma vie privée ne concernait que moi, me semblait-il. Je n'avais pas conscience, en la travestissant, de faire quelque chose de blâmable.

Je fus donc très étonné lorsque, débarquant dans la grand-ville de ma province pour entrer au lycée, en sixième, je dus apprendre parmi les premières règles de grammaire latine celle concernant la possibilité pour l'infinitif d' être sujet d'une proposition. L'exemple cité était: " Turpe est mentiri, il est honteux de mentir. " (9)

L'année suivante, quand je commençai en cinquième l'étude du grec, une des premières règles que l'on me proposa se trouva être : "Aiscrou esti yeudesqai"(10) qui a exactement la même signification.

Plus tard, découvrant Montaigne, qui consacre au mensonge un chapitre de ses Essais, je pus lire: " Le mentir est un maudit vice.... Nous ne sommes hommes et ne tenons les uns aux autres que par la parole. Si nous en connaissions l'horreur et le poids, nous le poursuivrions à feu plus justement que d'autres crimes" (11).

J'en conclus, tardivement dira-t-on, mais avec une puissance accrue par la surprise, que dans les civilisations gréco-romaines et judéo-chrétiennes le mensonge était considéré comme une très très vilaine pratique. Dont je ne me suis pourtant jamais défait car, chemin faisant, je lui ai trouvé de fort nombreuses et utiles applications. Je suis donc, et compte bien rester, un menteur invétéré.

Mais je ne suis pas le seul. Que de gens travestissent les faits les plus anodins pour se rendre intéressants, masquer leurs erreurs ou obtenir quelque bénéfice !

Il ne pouvait être question, dans un bref mémoire, d'étudier toutes les manifestations du mensonge. Je devais me cantonner dans l'examen d'un groupe social bien délimité.

Il se trouve qu'après avoir mené longtemps une vie tout à fait orthodoxe d'hétérosexuel, j'ai été amené, sur le tard, à découvrir les plaisirs socratiques et le milieu homosexuel. Où j'ai pu constater que, dans les tentatives de séduction, le mensonge était d'un usage intense.

J'ai donc adopté comme terrain pour mon mémoire : le village des dragueurs homosexuels parisiens. Mon enquête a eu lieu entre le 15 novembre 1989 et le 15 avril 1990


3 - Exemple d'une étude du mensonge par la sociologie traditionnelle.

J'étais sur le point d'entreprendre ce travail lorsque j'ai rencontré, boulevard Saint-Michel, un ami, brillant universitaire, et, tout chaud de mon projet, n'ai pu me retenir de le lui exposer. C'est effectivement, m'a-t-il dit, un intéressant travail sociologique. As-tu préparé tes grilles de questions ? Gomment envisages-tu tes statistiques ? Si tu veux, je peux t'aider pour les graphiques et les courbes.

Il a été tout surpris quand je lui ai dit que j'entendais procéder principalement par des récits voire des analyses de conversations, et m'a quitté très peiné de constater mon peu de sérieux, mon manque de méthode, mon amateurisme. Il n'avait jamais entendu parler de l'ethnométhodologie et m'a pris pour un farceur.

Au moment où je commençais à mettre mes notes au clair, (fin mars 1990) j'ai pu lire dans la presse parisienne l'extrait d'une enquête réalisée selon les plus purs principes sociologiques et intitulée : Sexe et mensonge. " La libido, était-il écrit notamment, pousserait au mensonge un homme sur trois et une femme sur dix. C'est ce qui ressort d'une enquête publiée dans le New England journal of Medicine portant sur les éventuelles allégations mensongères de 196 étudiants et 226 étudiantes californiens. 34 % des hommes et 10% des femmes reconnaissent avoir menti pour obtenir des faveurs sexuelles... 47% des garçons et 60% des filles estiment qu'on leur a probablement déjà menti dans le même but. Si on les interrogeait sur une éventuelle séroposivité au Sida, 20 % des hommes et 4% des femmes n'hésiteraient pas à distordre la vérité" (12).

Ce froid entassement de statistiques nous apprend-il quelque chose sur la pratique du mensonge, ses motivations réelles, ses effets ?

Le journaliste de service n'en était guère persuadé, car son compte-rendu se terminait mélancoliquement par : " Reste à savoir si les étudiants n'ont pas menti en répondant à l'enquêteur. "

La lecture de cet article m'a conforté dans l'idée que l'ethnométhodologie est une procédure permettant une approche beaucoup plus fine des phénomènes sociaux en général et particulièrement de celui auquel je me trouve chaque jour confronté depuis que, faisant partie du village homosexuel, je suis constamment à la recherche de nouveaux partenaires.

Il me paraît toutefois indispensable, avant d'aborder le vif de mon sujet, de préciser les principes fondamentaux de la discipline, encore peu connue, dont je suis désormais le modeste mais très convaincu zélateur.

http://www.ai.univ-paris8.fr/corpus/deluze/mens0.htm#3
Index
© A l g i