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Egan & Nesbit c. Sa Majesté la Reine

Envoyé par GDMANIMAJUGE en date du 05 avril 2001 à 08h45
Je vous propose un extrait d'un document intitulé "Questions juridiques concernant les gais et les lesbiennes dans le contexte du VIH/sida : rapport final ", préparé par John Fisher, Ralf Jürgens, Anne Vassal, Robert Hughes
pour le Réseau juridique canadien VIH/sida et Société canadienne du sida, à Montréal en 1998. On y trouve des arguemnts troublants de la aprt de certains juges à l'égard de la nature du mariage et des raisons pour lesquelles cette institution devrait être réservé aux hétérosexuels. Heureusement, ces juges ont été minoritaires, mais ils sont représentatifs des quelques 47 % de Québécois et Québécoises qui se rebiffent à l'idée d'accorder l'accès au mariage aux gais et lesbiennes. En connaissant les arguments de nos amis comme de nos ennemis, ne sommes nous pas mieux en mesure d'engager le dialogue et de construire un concensus. C,est aussi un moyen de combattre l'ignorance... source majeure de tous les mépris et rejets dont nous encore trop souvent victimes.

GDMANIMA
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""L’affaire Egan avait pour objet une contestation, fondée sur la Charte, des dispositions relatives à l’allocation de conjoint dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Les appelants, Jim Egan et Jack Nesbit, vivaient en union de personnes de même sexe depuis plus de 40 ans lorsque Egan a demandé une allocation de conjoint pour son partenaire. La demande a été rejetée parce que celui-ci était du même sexe que lui.

L’allocation de conjoint peut être versée au conjoint d’un pensionné en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse si le revenu du couple est inférieur à un montant déterminé et si le conjoint est âgé d’entre soixante et soixante-quatre ans. Dans la loi, l’expression «conjoint» comprend les personnes mariées et «la personne de sexe opposé qui vit avec une autre personne depuis au moins un an, pourvu que les deux se soient publiquement présentées comme mari et femme».

Les appelants ont contesté la constitutionnalité de la définition de l’expression «conjoint», en alléguant qu’elle était discriminatoire au regard de l’article 15(1) de la Charte. Toutefois, les deux sections de la Cour fédérale ont jugé que ce déni ne constituait pas de la discrimination.

L’affaire a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada, et la Cour a statué à la majorité que le déni contrevenait à l’article 15 (1) de la Charte mais que la violation était justifiée au regard de l’article premier de la Charte.
(...)
L’arrêt de la Cour suprême

La Cour suprême a rejeté la thèse des appelants et les neuf juges, sans exception, ont statué que l’orientation sexuelle était un motif analogue de discrimination au regard de l’article 15 de la Charte. Une majorité de cinq juges a statué que la loi contestée était discriminatoire et qu’elle contrevenait à l’article 15 (1) de la Charte. Toutefois, une majorité (constituée différemment) de cinq juges a statué que la loi, bien que discriminatoire, était justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

Analyse fondée sur l’article 15

Selon le juge LaForest, auteur des motifs des juges minoritaires, l’objectif de la loi était «évident [...] et [il] a ses racines profondes dans nos valeurs et traditions fondamentales», à savoir la protection de l’institution du mariage entre hétérosexuels et de la procréation:

Qu’il suffise de dire que le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique, qui elle-même est le reflet de traditions philosophiques et religieuses anciennes. Mais la véritable raison d’être du mariage les transcende toutes et repose fermement sur la réalité biologique et sociale qui fait que seuls les couples hétérosexuels ont la capacité de procréer, que la plupart des enfants sont le fruit de ces unions et que ce sont ceux qui entretiennent ce genre d’union qui prennent généralement soin des enfants et qui les élèvent. Dans ce sens, le mariage est, de par sa nature, hétérosexuel. On pourrait le définir sur le plan juridique de façon à y inclure les couples homosexuels, mais cela ne changerait pas les réalités biologiques et sociales qui sous-tendent le mariage traditionnel[212].

Le juge LaForest a rejeté les arguments selon lesquels plusieurs lesbiennes et gais élèvent des enfants alors que plusieurs hétérosexuels admissibles aux prestations n’ont pas d’enfant:

[J]e ne suis pas troublé par le fait que ce ne sont pas tous ces couples hétérosexuels qui, en fait, ont des enfants. C’est l’unité sociale qui seule a la capacité de procréer et qui, en général, veille à l’éducation des enfants; à ce titre, elle mérite que le législateur lui offre son soutien de façon à ce qu’elle puisse satisfaire à ses besoins[213].

Ce qui étonne, des motifs du juge LaForest, est qu’il rejette la thèse des appelants pour des motifs qui n’ont absolument rien à voir avec la loi ou le programme contesté. Le programme d’allocation de conjoint établi par la Loi sur la sécurité de la vieillesse n’a aucun rapport avec les enfants ou la procréation; il est offert à tous les couples hétérosexuels admissibles, qu’ils aient des enfants ou non. Qui plus est, la possibilité de s’en prévaloir ne dépend pas du mariage, puisque le programme est offert aux couples hétérosexuels mariés ou non.

Le raisonnement du juge LaForest est expressément contesté par le juge Cory dans les motifs qu’il a rédigés pour la majorité. En effet, le juge Cory rejette comme étant «inexacte et trompeuse» la thèse du procureur général selon laquelle le fait d’accueillir le pourvoi des appelants aurait pour effet «de modifier radicalement le sens fondamental de la notion de mariage dans la société[214]» [trad.]. Il met ensuite indirectement en doute les affirmations du procureur général et des juges qui ont souscrit aux motifs du juge LaForest, déclarant que «[l]a Loi ne mentionne pas les enfants», qu’elle n’a pas «été conçue pour ne bénéficier qu’aux femmes» et qu’elle «n’a rien à voir avec la reconnaissance de la contribution apportée par le couple à l’éducation des enfants ni avec le sexe du conjoint[215]». Le juge Cory n’a pas eu de difficulté à conclure que la loi crée une distinction qui désavantage les couples de gais et de lesbiennes et qui est discriminatoire à leur égard. Il rejette expressément la thèse avancée par le procureur général du Canada selon laquelle la «discrimination» nécessite une preuve de désavantage économique; le juge a préféré mettre l’accent sur les conséquences de la stigmatisation et du déni de la possibilité de faire les mêmes choix quant à leur relation:

Or, les hétérosexuels qui cohabitent ont le droit de décider s’ils souhaitent être publiquement reconnus comme conjoints de fait. Les couples homosexuels, quant à eux, n’ont pas ce choix en raison de la définition de «conjoint» énoncée dans la loi contestée. La reconnaissance et l’acceptation publiques des homosexuels en tant que couple peut revêtir une importance extrême pour eux et pour la société dans laquelle ils vivent[216].

Le juge Cory estime que l’essence d’une enfreinte de l’article 15 découle d’un affront intangible à la dignité humaine. Pour illustrer son propos, il fait l’analogie d’un bénéfice qui serait nié aux couples de races ou de religions différentes: «[j]e crois que l’indignation publique se ferait sentir immédiatement, et à bon droit[217]».

Le juge Cory conclut que l’article 15 a été enfreint. En outre, il fait le commentaire important suivant, en obiter dictum:

En l’espèce, on a consacré beaucoup de temps à démontrer la nature des liens tendres, affectueux et aimants qui unissent de toute évidence les appelants. J’estime à propos de mentionner en passant que cela n’est pas nécessaire dans tous les cas. Il n’est pas obligatoire que la preuve démontre que l’union homosexuelle revêt toutes les caractéristiques d’une union hétérosexuelle idéale puisque de nombreux couples hétérosexuels vivent une union souvent loin d’être idéale. Les unions entre hétérosexuels varient autant que les personnalités des personnes concernées. En l’espèce, il aurait suffi d’établir que l’union homosexuelle existait depuis plus d’un an, que les personnes concernées s’étaient publiquement présentées comme cohabitant et que leur revenu total était inférieur à la limite prescrite. C’est exactement ce que doivent établir les conjoints de fait hétérosexuels pour recevoir l’allocation de conjoint[218].

Les juges Iacobucci, McLachlin et Sopinka ont souscrit aux motifs du juge Cory. Le juge L’Heureux-Dubé a rédigé des motifs distincts concordants.

Les juges L’Heureux-Dubé et Cory ont tous les deux souligné que la question de savoir s’il y avait eu ou non discrimination ne peut être traitée que du point de vue de la personne touchée. Le besoin de se mettre «dans la peau» du demandeur est un élément trop souvent ignoré, quoique essentiel, dans les revendications d’égalité de lesbiennes et de gais. La discrimination qui est claire et évidente pour n’importe quel membre des communautés gaie et lesbienne est souvent justifiée en se fondant sur des croyances systémiques relativement à la structure des «relations traditionnelles». Dans l’affaire Egan, par exemple, la seule préoccupation du juge LaForest était de maintenir la supériorité sociale incontestée des relations hétérosexuelles. Il ne s’est pas interrogé sérieusement sur les répercussions dommageables que ces modèles de discrimination historique pouvaient avoir pour les membres des communautés gaie et lesbienne. Toutefois, dès que la question est abordée du point de vue des gais ou des lesbiennes, l’orientation de l’enquête change à bon droit: il n’est plus question du besoin de maintenir la dominance des structures hétérosexuelles, mais des effets discriminatoires qui découlent de l’opprobre constant dont font l’objet les relations entre personnes du même sexe. ""

source : http://www.aidslaw.ca/francais/Contenu/themes/gaislesbiennes/rapportfinal/GLLIlaw3f.html
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