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Valeurs et Charte des Droits ?

Envoyé par GDMANIMAVALEUR en date du 07 mars 2001 à 09h20
Le Président de la Commission des Droits de la personne(CDP) devant les gais et lesbiennes
Le chemin parcouru en 25 ans


(...)Pour la Commission, il apparaît clair que ces avancées concrètes pour les communautés gaies et lesbiennes ont été possibles parce qu'à la base les valeurs d'égalité, de dignité, de respect et d'ouverture à l'autre, promues par la Charte ont été adoptées par les Québécois. C'est là un précieux héritage de l'adoption et de la mise en oeuvre concrète de notre Charte.(...)


extrait du texte ci-dessous
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Allocution de me Claude filion, président de la CDP.

Nous vous présentons des extraits de l'allocution du président de la Commission des droits et libertés de la personne du Québec, Me Claude Filion, lors du Colloque national (Nos communautés en marche) organisé par la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Québec le 23 septembre 2000.
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Aujourd'hui, en l'an 2000, la Charte des droits et libertés de la personne célèbre son 25e anniversaire. Il y a un quart de siècle, le Québec marquait son adhésion aux valeurs de respect de la dignité humaine et d'égalité reconnues par certains grands textes internationaux en matière de droits humains, notamment la Déclaration universelle des droits de l'Homme.

À l'adoption de la Charte, en 1975, l'orientation sexuelle ne figurait pas comme motif de discrimination interdit. Dès le début de ses activités, la Commission des droits de la personne du Québec a commencé à recevoir des plaintes concernant des personnes homosexuelles victimes de discrimination. Très tôt, la Commission s'est convaincue de la nécessité de demander une modification législative à la Charte pour y inclure l'orientation sexuelle comme motif de discrimination prohibé. Grâce à la pression des communautés gaies et lesbiennes, en 1977, l'Assemblée nationale du Québec adoptait un projet de loi pour inclure l'orientation sexuelle à la liste des motifs de discrimination. Le Québec devenait alors la première législation au Canada à officiellement protéger les personnes homosexuelles contre la discrimination.

Dès lors, la Charte est devenue un instrument juridique que les communautés gaies et lesbiennes ont su utiliser pour appuyer leurs revendications dans la reconnaissance d'une égalité réelle. La Charte a été invoquée avec succès devant les tribunaux du Québec dès le début des années 1980 alors que la Cour supérieure reconnaissait que la Commission des écoles catholiques de Montréal n'avait pas le droit de refuser de louer un local dans une de ses écoles à une association homosexuelle puisqu'elle offrait ce service à d'autres organismes oeuvrant dans divers domaines.

De même, en 1982, la Cour supérieure reconnaissait, en matière familiale, que le fait d'interdire la présence de la nouvelle conjointe de la mère d'un enfant lors de l'exercice de son droit de sortie et de visite de l'enfant serait une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Une autre étape importante a été réalisée au début des années 90 avec la décision de la CDP de tenir une large consultation publique sur la violence et la discrimination envers les gais et lesbiennes. Cette décision est survenue après des pressions intenses de divers organismes représentant les gais et lesbiennes. Trois thèmes de consultation considérés comme des priorités par les communautés gaies et lesbiennes ont été retenus : la discrimination dans les services de santé et les services sociaux, les relations avec la police et l'examen de la conformité des lois provinciales avec la Charte. La CDP a reçu 75 mémoires à la suite de cette consultation qui s'est échelonnée sur six jours en novembre 1993. Cet exercice a bénéficié d'une excellente couverture médiatique et a permis d'exposer au débat public les grandes questions qui préoccupaient les communautés gaies et lesbiennes. Encore ici, le Québec avait fait preuve d'audace puisque ce type de consultation, sur la discrimination vécue par les personnes homosexuelles, représentait une première en Amérique du Nord, si ce n'est au monde.

Le rapport de cette consultation, très justement intitulé De l'illégalité à l'égalité a fait le point sur les sujets de consultation et a adressé des recommandations précises aux personnes et organismes visés dans le rapport. Plus important encore est le fait que vous vous êtes appropriés ce rapport afin d'en faire un outil en appui à vos revendications.

De son côté, la CDP est fière de pouvoir dire qu'elle a effectué un suivi serré des recommandations et a produit un document de suivi des recommandations. Des avancées importantes ont été constatées après la parution de ce rapport, dont l'adoption d'orientations ministérielles portant sur l'adaptation des services sociaux et de santé aux réalités homosexuelles. Ces orientations visent à enrayer la discrimination et à améliorer l'accessibilité à de meilleurs services aux personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles partout au Québec. On soulignera également la diffusion assez large du programme de formation intitulé Pour une nouvelle vision de l'homosexualité qui a permis de former plusieurs intervenants du milieu de la santé et des services sociaux aux réalités homosexuelles. Avec des hauts et des bas, on notera également un rapprochement entre les forces policières du SPCUM et les populations gaies et lesbiennes, l'engagement du gouvernement au projet Dire enfin la violence destiné à aider les victimes de violence homophobe. Soulignons enfin l'engagement et le soutien actifs de la Ville de Montréal à divers projets des communautés gaies et lesbiennes. Montréal a su se tailler une place de choix comme destination pour ce qu'il est maintenant convenu d'appeler « le tourisme rose ».

Pour la Commission, il apparaît clair que ces avancées concrètes pour les communautés gaies et lesbiennes ont été possibles parce qu'à la base les valeurs d'égalité, de dignité, de respect et d'ouverture à l'autre, promues par la Charte ont été adoptées par les Québécois. C'est là un précieux héritage de l'adoption et de la mise en oeuvre concrète de notre Charte.

Cependant, il aura fallu attendre encore quelques années avant que le gouvernement ne donne suite aux recommandations de la Commission portant sur la conformités des lois provinciales à la Charte, notamment sur la reconnaissance des conjoints de même sexe. Un premier gain, concernant le texte même de la Charte, a été obtenu en 1996, avec l'abrogation de l'article 137 qui permettait une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle dans divers régimes d'assurances. Malgré cela, les problèmes n'étaient pas tous réglés puisque diverses lois québécoises ne reconnaissaient pas les couples formés par des personnes de même sexe dans l'octroi d'avantages sociaux.

Ayant reçu quelques plaintes de personnes homosexuelles qui se voyaient refuser l'accès à des avantages sociaux prévus par des lois pour cette raison, la CDP a décidé de s'adresser à la Commission des affaires sociales, en faveur de quatre homosexuels qui avaient perdu leur conjoint et qui réclamaient la rente de conjoint survivant prévue à la Loi sur les régimes de rentes. La Commission a tenté d'établir que la disposition de la loi qui définissait le mot conjoint en excluant les personnes de même sexe était discriminatoire en fonction de l'orientation sexuelle. Après avoir essuyé un refus devant la Commission des affaires sociales, la Commission a demandé la révision judiciaire de cette décision devant la Cour supérieure et elle a eu gain de cause.

Dans cette cause très importante, en novembre 1998, la Cour supérieure a décidé que la définition de conjoint comprise à la Loi était discriminatoire au sens de la Charte et a ordonné au gouvernement de verser la rente de conjoint survivants aux quatre demandeurs. Compte tenu du fait que cette définition de conjoint était reprise dans plusieurs lois sociales québécoises, il a suspendu l'effet de sa décision pour une période de six mois pour permettre au gouvernement de modifier sa législation de façon à la rendre conforme à la Charte.

Coïncidence ou non, cette décision judiciaire a été suivie, quelques mois plus tard, par la Loi 32 qui a modifié la définition de conjoint dans l'ensemble de la législation sociale au Québec de façon à reconnaître les conjoints de même sexe. Cette reconnaissance formelle de l'égalité des couples de personnes homosexuelles représente, sans contredit, un pas de géant. Encore ici, cette modification législative s'est faite dans l'esprit de la Charte.

Du même souffle, il faut certainement déplorer la décision du gouvernement de porter devant la Cour d'appel la décision de la Cour supérieure en faveur des quatre conjoints gais, alors que le droit à l'égalité des couples homosexuels est reconnu pour l'avenir avec la Loi 32. Il est particulièrement préoccupant de constater que le gouvernement utilise cette cause pour contester la compétence d'enquête de la Commission dans un cas où le problème de fond est maintenant réglé. Cette décision préjudicie les quatre demandeurs alors que la Cour supérieure a reconnu la légitimité de leur contestation.

Bref, le chemin parcouru vers l'égalité pour les gais et lesbiennes est énorme et force est de constater que la Commission a été une alliée dans ce combat. Malgré ces avancées, des problèmes importants continuent de se poser. Des citoyens sont encore victimes de violence homophobe. Dans les dernières années, le Tribunal des droits de la personne a rendu un jugement condamnant un propriétaire pour avoir refusé de louer sa maison à deux hommes parce qu'ils étaient homosexuels. L'adoption de la Loi 32 a mis en lumière la difficulté et, dans certains cas, l'impossibilité, pour des personnes de déclarer leur orientation sexuelle dans des milieux de travail particuliers.

Les récentes recherches confirment les appréhensions en ce qui concerne les taux de suicide beaucoup plus élevés observés chez les adolescents et les jeunes adultes homosexuels. Une telle détresse sociale nécessite qu'on se penche d'urgence sur ce phénomène. Comment permettre aux adolescents gais et lesbiennes de bien vivre leur orientation sexuelle différente? Comment s'assurer qu'ils ou elles se sentent à l'aise dans un milieu scolaire ouvert et libre de préjugés homophobes? Le milieu scolaire a une responsabilité immense à ce chapitre.

La Commission a entendu votre appel pour des audiences publiques sur la discrimination systémique envers les gais et lesbiennes en éducation. Soyez assurés que cette demande fera l'objet d'un débat au sein de la Commission dans un avenir rapproché. Pour l'instant, d'autres démarches peuvent déjà être entreprises. N'y aurait-il pas lieu d'inciter le ministère de l'Éducation, à l'instar de celui de la Santé et des Services sociaux, à se doter d'orientations ministérielles concernant l'adaptation des services d'éducation aux réalités homosexuelles? On sait également qu'un cours d'éducation à la citoyenneté sera introduit au secondaire. Les valeurs représentées par la Charte doivent faire l'objet d'un enseignement dans le cadre de ce cours. La lutte contre les préjugés et l'intolérance homophobes doit occuper sa place dans cet enseignement et la CDP est prête à appuyer des démarches en ce sens.

D'autres débats concernant vos communautés se profilent à l'horizon : les questions liées à l'immigration, à l'adoption, au consentement aux soins en cas d'incapacité. Dans la mesure où la question du droit à l'égalité est en jeu, sur une matière qui relève de la compétence législative du Québec, la Commission peut coopérer avec vous. Mais vos communautés peuvent aussi aider d'autres groupes qui ont besoin de votre soutien. Tous ensemble, il nous faut travailler à bâtir une société fondée sur des valeurs communes d'égalité, de respect de la dignité humaine et d'ouverture à l'autre.

Dans les prochaines années, des débats primordiaux sur le respect des droits économiques et sociaux devront se tenir. Que signifie le droit à des mesures sociales assurant un niveau de vie décent, garanti par la Charte, dans le nouveau contexte économique? L'accroissement alarmant des taux de pauvreté au Québec doit tous nous interpeller. La pauvreté n'est pas seulement économique. Elle constitue également un obstacle important à la reconnaissance des droits fondamentaux d'une personne : elle l'empêche de jouir des autres droits civils et politiques, bref, d'exercer pleinement sa citoyenneté. Pour toutes ces raisons, la lutte à la pauvreté doit être au coeur de nos priorités pour les prochaines années.

La Commission compte donc sur la vigilance et la force d'action des communautés gaies et lesbiennes pour participer à ces débats sociaux très larges qui nous permettront de définir, dans les prochaines années, dans quelle société nous désirons vivre.
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RG Numéro 218Novembre 2000

Autre lecture intéressante mais plus aride :

Guy Lapointe et Réjean Bisaillon (dir.), 1997, Nouveau regard sur l'homosexualité. Questions d'éthique, coll. Perspectives de théologie pratique, Montréal, Fides, 261 p.



""" (...) l'immoralisme comme étant porteur d'une possibilité de renouvellement des valeurs : en ce sens, la présence et la visibilité de l'homosexualité dans nos sociétés seraient soutenues par tout un processus de changement culturel. (...)

http://www.unites.uqam.ca/religiologiques/recen/19lapointe.html
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