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TRAVAILLONS GAIEMENT !

Envoyé par GDMANIMA en date du 05 septembre 2000 à 16h52

(source "http://www.gograph.com/Images-7066/ClipArt/clipart_office_people_004.gif")

Homosexualité en milieu de travail



de Patrick Forget

Peu de milieux de travail sont réfractaires à la réalité gaie. Mais, pour les homosexuels qui exercent les métiers d'enseignant, de pompier ou de policier, s'affirmer au boulot ne va pas toujours de soi. Surtout lorsque la personne manque de caractère.

Pour taire son homosexualité au travail, le silence ne suffit pas. Il faut souvent tordre la vérité. Mentir même. "Le lundi, au boulot, on peut reconnaître les gais en repérant ceux qui ne racontent pas leur fin de semaine", s’esclaffe le directeur du Groupe interdisciplinaire de recherche et d’études: homosexualité et société, Richard Desrosiers. Le conjoint ou la conjointe devient alors "la personne avec laquelle je vis", "celle que j’aime" ou plus prosaïquement "mon ou ma coloc".

Ces formules ont au moins l’avantage ne pas travestir la tendre moitié, ce que certains travailleurs, pour dissiper tous les doutes, se résignent à faire. "Pendant mes dix premières années au SPCUM, je substituais le nom de mon amie de coeur par celui de mon ex-beau-frère. C’était lui aussi qui m’accompagnait dans les partys de bureau", relate l’agente de concertation, Martine Fleury (nom fictif), qui travaille au Service de police de la CUM depuis quinze ans. Aujourd’hui, ces voies de contournement sont cependant de moins en moins empruntées par les gais, particulièrement les plus jeunes. Serait-ce que les milieux de travail sont maintenant ouverts à la différence et libérés des préjugés homophobes?

La nouvelle génération de gais et lesbiennes – les moins de trente ans – sortent du garde-robe, selon l’expression consacrée, en moyenne 10 ans plus tôt que leurs aînés. C’est le chiffre qui ressort d’une vaste enquête menée par la Cohorte Oméga, projet qui vise à mieux comprendre l'incidence de certains comportements et aspects de la vie psycho-sociale dans la propagation du VIH, auprès de 1400 membres de la communauté. "Aujourd’hui, les jeunes homosexuels complètent leur "coming out" vers 22 ou 23 ans", précise le président d'un organisme de prévention du sida et chercheur au sein de la cohorte, Roger Leclerc. Dans la foulée, l’affranchissement s’opère aussi dans le milieu de travail. Près de 70 % des répondants de l’étude, qui sera dévoilée à la fin du mois de mai, affirment que leurs collègues sont au fait de leur orientation sexuelle.

Or, ces chiffres surprennent André Patry, membre du comité pour la défense des gais et des lesbiennes au sein de l’Alliance des professeurs de Montréal. "Je connais une cinquantaine de professeurs homosexuels, déclare cet enseignant du secondaire, et aucun ne s’est affiché ouvertement au travail." Dans la même veine, le président de l’Association des policiers et pompiers gais du Québec (APPGQ), Patrick Lavallée, estime qu’au SPCUM, seuls 10 % des homosexuels, soit une quarantaine, ont levé le voile sur leur orientation.



Ragots préjudiciables

Selon Martine Fleury, l'homophobie existe bel et bien au sein du corps de police de Montréal. En 1998, elle en a même été victime. Un nouveau commandant l’a littéralement poussée à bout. "Étrangement, dès la première journée, il était tout à fait au courant de mon état" se rappelle-t-elle. Au cours des trois mois suivant, il l’a surveillée scrupuleusement et lui a appliqué avec une rigueur démesurée les règlements. Après l'avoir menacée de l’assigner à des tâches qui ne lui plaisaient pas, il a préféré la traîner devant le comité de discipline. "J’ai gagné sur toute la ligne, mais le mal était fait." Résultat: un burn-out qui l’a écartée du travail pendant plus d’un an. Bien sûr, jamais le commandant n’a tenu des propos qui auraient trahi son homophobie. Mais Martine demeure persuadée que son orientation sexuelle était la cause du harcèlement.

En revanche, Patrick Lavallée ne croit pas que ce genre de cas soit courant. "Il faut se lever de bonne heure pour trouver un gai qui subit l'oppression de ses collègues [au sein du corps policier montréalais]", lance-t-il. Selon Carole Lemay (nom fictif), autre agente au SPCUM, "c’est trop facile de jouer le rôle de la victime. Lorsqu’il y a un problème, ça peut aussi être de notre faute." D’ailleurs, soutient-elle, le respect porté à un pair dépend de la personnalité de celui-ci et non de son orientation sexuelle.

André Proulx, aussi policier à Montréal, peut en témoigner. Pendant dix ans, ses collègues l’ont connu marié et, surtout, l’ont apprécié pour sa bonne humeur. Le 1er janvier 1993, répondant à un appel de routine, il est atteint d’un projectile. Pendant sa convalescence, il annonce son homosexualité à deux collègues. Mais la nouvelle s’est vite propagée dans les rangs. "Au retour, raconte-t-il, j’ai été surpris. Les gens ont été super respectueux. Je n’ai perdu personne autour de moi."

En matière d’homosexualité, le SPCUM semble donc avoir l’esprit large. "À la Sûreté du Québec et [dans les corps policiers régionaux], la réalité gaie est plus cachée. Les gens s’affichent beaucoup moins", note Patrick Lavallée. Et chez les pompiers, poursuit le président de l’APPGQ, l’homosexualité est carrément taboue. "Dans la caserne, les gars mangent, s’entraînent et écoutent la télévision ensemble. La nuit, ils dorment dans le même dortoir. [Dans un contexte de telle promiscuité], c’est nettement plus difficile d’avoir une orientation sexuelle différente." Si la forte présence gaie sur le territoire de la CUM n’est pas étrangère à l’ouverture d’esprit des membres des forces de l’ordre, l’émancipation des femmes et la promulgation de la Charte des droits et libertés de la personne ont aussi été des éléments déterminants.

Même mis ensemble, cependant, ces facteurs n'ont pas eu raison des préjugés dans le milieu de l’enseignement. "Le professeur gai est encore considéré comme un pédophile", condamne Pierre Valois de la Table de concertation gaie de Montréal. Paul Trottier, commissaire à la Commission scolaire de Montréal, renchérit: "Pour un enseignant, vivre ouvertement son homosexualité à l'école, c’est miner son autorité morale, donc sa crédibilité." Le fait d'être stigmatisé pave aussi la voie au chantage et au harcèlement. "Les gestes de la personne peuvent être mal interprétés. Et il n’est plus question pour elle de rester seule avec un étudiant", se désole Paul Trottier.

Toutefois étiqueter d'homophobes certains milieux de travail peut s'avérer fort réducteur. En fait, lorsqu’un gai fait l’objet d’une mesure discriminatoire dans son emploi, "les membres fautifs sont rarement représentatifs de l’organisation", estime le directeur-général de Gai-écoute, François Béchard. Sauf dans l'enseignement et la prévention des incendies, peu de secteurs semblent exercer une pression systémique sur leurs salariés homosexuels. À l'inverse, des domaines d'activités paraissent peut-être plus ouverts qu'ils ne le sont réellement. Il a fallu sept ans à l'organisme Gai-écoute pour dénicher, dans la communauté artistique, un porte-parole. "Et encore, précise François Béchard, des hommes ont accepté, mais aucune femme. En fait, dans ce milieu, la seule lesbienne qui s'affiche, c'est Geneviève Paris."

S'assumer puis s'afficher: la grande torture des gais. Mais plusieurs intervenants sont sortis grandis de ce processus en deux étapes. Encore faut-il avoir la force de caractère nécessaire pour affronter les esprits étroits du bureau.





Collègues et amis, j'en suis un

Laurent McCutcheon, aujourd'hui président de Gai-écoute et du Conseil de la justice administrative, a été l'un des premiers homosexuels, au travail, à sortir du garde-robe. C'était en 1975. "Ce fut loin d'être facile. Je n'ai pas été victime d'homophobie affichée, mais les ragots allaient bon trait dans mon dos", se rappelle-t-il. À Sherbrooke, il était directeur régional de l'aide sociale et de la sécurité du revenu. "Lorsque j'ai été muté à en Estrie, c'était censé être temporaire. Des postes s'ouvraient à Montréal, mais ma candidature n'était jamais retenue." Aujourd'hui, il sait que certains dirigeants préféraient qu'il demeure en région...

Comme la plupart des gais, Laurent McCutcheon a préféré attendre de bien connaître son environnement de travail et gagner la confiance de certaines personnes avant d'annoncer son homosexualité. Mais même dans les meilleurs conditions, "pour réussir à s'imposer en tant que gai, soutient-il, il faut une forte personnalité".


http://www.unites.uqam.ca/~campus/textes/snogay.html
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