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L'histoire d'un mépris, d'une peur,

Envoyé par Lexilé en date du 30 juillet 2000 à 17h19
c'est là me semble-t-il l'angle le plus courant sous lequel l'histoire homosexuelle a été construite. Il ne peut en aller autrement, évidemment, car la majeure partie des sources historiques manuscrites qui subsistent pour nous témoigner de l'existence de l'homosexualité dans le passé, et ce dans toutes les sociétés, proviennent d'archives issues de la répression sociale, du contrôle sociale. En Nouvelle-France, seules les archives judiciaires livrent des témoignages indiscutables de rapports homosexuels. On dénonce, on interdit, on condamne, on exécute et on laisse des témoignages de ces gestes de moralité et de purification de nos sociétés effrayées par la DIFFÉRENCE.

L'Antiquité nous livre des textes qui discutent posément de l'Amour du même sexe, mais il en existe tout autant de la même période qui le dénonce et le méprise... La pédérastie est un vestige de rites initiatiques de l'Ancienne Grèce, mais il n'est pas sans opposant au sein même des Cités de la Grèce triomphante. On dit que Socrate a été dénoncé pour son abus des jeunes et condamné au suicide sous des prétextes falacieux, mais surtout pour ces pratiques homosexuelles qui choquaient les bien-pensants. Pour sa part, si Rome tolère, elle ridiculise aussi volontiers l'homosexualité.

Reste que par la suite en Occident, on ne peut suivre nos pareil/les qu'au fil des dénonciations et condamnations du pouvoir civil ou religieux. La répression a laissé des traces ; c'est tout le refoulement de la sexualité qui s'exprime à travers cet exercice de mépris officiel.

Après le doux tableau des amours d'Hadrien et d'Antinous, Yourcenar dresse un portrait plus triste de la condition homosexuelle dans "
L'Oeuvre au noir" et de l'expression sournoise de la haine et du mépris qui frappent les amours de même sexe.

L'homosexualité apparaît du XIIe au XIX e siècles au fil des ouvrages romanesques ou scientifiques décrivant ou dénonçant des perversions, des maladies mentales, des personnages exécrables et monstrueux, des représentations qui se sont perpétués jusqu'à tout récemment, même au sein de l'art cinématographique : l'homosexuel/le incarnation du mal. Seule la poésie et quelques ouvrages libertins, interdits de circulation naturellement, puis la photographie, font une place plus délicieuse à la chose, pour en révéler toute l'humanité et le naturel.

Une histoire du mépris et de la peur de la différence ! Il reste encore des tonnes d'archives judiciaires du XIXe siècle qui n'ont pas été exploré au Québec et qui nous livreraient sans doute d'autres témoignages de l'existence des pratiques homosexuelles dans notre bonne colonie canadienne ou Province of Quebec sous le triste règne de la pudibonde Victoria, simple et innocent symbole de l'hypocrisie humaine et du mal d'être des humains de son époque face au plaisir sexuel.

Et pourtant, cette société n'était pas ignorante de cette réalité. Un extrait de roman canadien du XIXe siècle donne le ton. S'agit-il de la première mention d'un bougre dans la littérature canadienne. Je ne sais.

LES FIANCÉS DE 1812, de Joseph DOutre (1844)

Une jeune fille se déguise en garçon pour rejoindre son fiancée. Elle tombe au sein d'un groupe de brigands dont un des membres se déclare son protecteur. Le chef de la troupe a des idées différentes sur la manière de voir les choses quand à cet aimable garçon :

""Après quelques heures d'un paisible sommeil, elle fut éveillée par le bruit de la chute de des remparts qu'elle avait opposés à l'ouverture de la porte.

-Ouvre dont mon petit mignon, lui dit le GRand (décrit auparavant comme un homme d'une stature gigantesque, doté d'un cynisme bestial, d'un énergumène présentant tous les traits qui font horreur à la nature.) d'une voix prolongée et saccadée de liqueurs.

Elle vit la danger. Elle avait laissé son habit de dessus et son épaisse poitrine ne portait plus pour rempart qu'une chemise, soigneusement fermée d'ailleurs. Le chef des voleurs était entré :

- Je viens te rendre visite d'ami, jeune compère, il faudrait quelque chose pour égayer la nuit. (...)
- Que voulez-vous dit-elle . Sortez !

- allons donc, tiens, je viens m'ammuser. tu parais bien méchant. Laisse-moi ici Ô quelle charmante petite main !""""

(Elle défendra son honneur et blessera le brigand d'un coup de fusil au bras, mais sa véritable identité est découverte...)

""""
- Une femme, Une femme ! s'exclame les brigands venus au secours de leur chef.

Ces mots tirèrent le GRand de son étourdissement. Lui seul resta étonné. Cette découverte sembla toute naturelle aux autres, croyant que le Grand n'était pas ignorant du fait. """""

Cette partie du texte permet d'éliminer tout doute sur l'idée que Doutre voulait illustrer dans son roman... ;o) 1844 c'est pas d'hier et très audacieux. M. Doutre est-il un de ces personnages ambigües de notre histoire littéraire ?

Chose certaine une lecture de cette courte biographie en fait un personnage des plus sympatiques.

Né à Beauharnois,le 11 mars 1825, d'un père sacristain de l'église Saint-Clément, Joseph Doutre entreprend, en 1836, des études au Petit Séminaire de Montréal puis poursuit ses études de droit. Il est admis au barreau le 30 avril 1847. Étudiant, il collabore aux journaux Mélanges religieux et l'Aurore des Canadas. Il publie le conte "Faut-il le dire..." dans le Ménestrel en 1844 et la même année, les deux premières livraisons de son roman Les fiancés de 1812 sont distribués aux souscripteurs. Inspiré par l'auteur français Eugène Sue, il met Montréal à l'heure de Paris dans le domaine romanesque. Il publie son second roman Le frère et la soeur, inspiré de Chateaubriand, en 1846.

En juillet 1847, il devient l'un des treize premiers collaborateurs au journal l'Avenir. Doutre lutte contre les préjugés, l'ignorance et l'inertie dans Canadiens français dans les sphères politique et sociale pour lesquels il blâme la religion qu'il qualifie d'intolérante et hypocrite. Il réclame l'exclusion du clergé du domaine politique et prône l'éducation non-confessionnelle.

En 1852, lorsqu'on cesse de publier l'Avenir, Doutre s'impose de plus en plus sur la scène de l'Institut canadien dont il est élu président pour un mandat d'un an. C'est sous sa présidence que l'Institut obtient la personnalité civile. Doutre joue un rôle important dans la convention organisée par l'Institut sur l'abolition de la tenure seigneuriale mais il se préoccupe surtout de la question de l'éducation qu'il veut laïque et capable de donner une formation pratique.

Il met pourtant ses convictions sur le système éducatif au rancart lorsqu'il se présente au élections de 1856 et 1863 dans le comté de Salaberry. Il est défait par deux fois. Proscrit de la vie publique par les ecclésiastiques lorsqu'il revient à la charge au sujet de l'éducation lors d'un banquet en février 1858, il se consacre au droit où il fait une brillante carrière. Il plaide, en 1857, la cause des censitaires suite à l'abolition du régime seigneurial. En octobre 1863, Doutre est nommé pour tenter d'aplanir les différends entre l'évêque de Montréal et l'Institut canadien à propos de la surveillance et de la prohibition en matière de lecture. Ses efforts sont infructueux. Au mois de mai 1867, il est de nouveau élu comme président de l'Institut canadien. C'est en 1869-70 qu'il défend en Cour Supérieure la cause Guibord à laquelle sont nom reste attaché. Il a gain de cause dans le procès au sujet de la sépulture catholique de Joseph Guilbord, membre de l'Institut. Plus qu'une question d'enterrement, ce procès oppose les idéologies libérales et ultramontaines avec un retentissement national.

Mort le 3 février 1886, il est inhumé au cimetière protestant. Il laisse derrière lui six enfants fruit de son deuxième mariage.
Préoccupé des droits et libertés, Joseph Doutre fût un acteur important dans la contestation des pouvoirs de l'Église.
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Ça ravigote cette histoire !

Envoyé par Fréquence en date du 31 juillet 2000 à 06h07 en réponse à L'histoire d'un mépris, d'une peur, (reçu de Lexilé le 30 juillet 2000 à 17h19).
J'ai eu des frissons durant toute la lecture. Un homme de courage et de conviction. Sensationnelle !

Je crois que l'idée de Catou au sujet du calendrier des événements des gais, lesbiennes et bisexuel(le)s à travers l'histoire devrait avoir se genre de style. C'est-à-dire, que les événements inscrits au calendrier soient positifs et évolutifs.

Je ne me sentirais pas bien de lire presque exclusivement des événements de décapitation, par exemple. Mais, d'un autre côté, il faut être impartial face à l'histoire et raconter ce qui c'est vraiment passé, mais, est-ce vraiment l'endroit pour ce genre d'historique? Si nous trouvions des bijoux d'événement inconnus de tous et qui ferait de ce calendrier un endroit riche d'histoires cocasses autant qu'inédites sur les faits nous entourant ? Hen !

OH ! Puis, c'est super les biographies de personnes qui se battent, en finalité pour nous en particulier ou pour la liberté en général des êtres humains. Tu sais, Lexilé, je ne le connaissais pas, Doutre. Catou, ton idée est bonne. J'y suis intrigué.

Affranchissons-nous, appartenons-nous ! Connaissons-nous ! :-)

Fréquence
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Pas de Doutre !!;o))

Envoyé par Lexilé en date du 31 juillet 2000 à 12h55 en réponse à Ça ravigote cette histoire ! (reçu de Fréquence le 31 juillet 2000 à 06h07).

(source "http://www.gograph.com/Images-7066/AnimatedGif/litehse.gif")

Joseph Doutre est effectivement un personnage fascinant et trop peu connu de notre Histoire québécoise. On s'imagine toujours que l'obscurantisme régnait sans contrepartie autrefois, mais ce n'était pas le cas, même si l'Église parvenait à les baillonner, humilier, réduire quasi au silence. Il y a toujours un phare quelque part !
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