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LES QUÉBÉCOIS ET L'INTERNET

Envoyé par GDMANIMA en date du 19 décembre 2000 à 17h06
L'expression du moi intime est en effervescence dans le cyberespace

Il m'apparaît impossible, suite aux réponses obtenues, d'affirmer que l'expression du moi intime est dominante dans le cyberespace. Cela prendrait une recherche spécialisée pour aborder cette question. Cependant, certains indices, dans l'analyse des questionnaires, dévoilent sa présence. Premièrement, le fait que les gens naviguent principalement sur Internet à la recherche d'intérêts personnels suggère une intention de nourrir leur moi-intime, de combler un besoin d'enrichissement personnel. Deuxièmement, lorsqu'ils trouvent ce qui les intéresse, ils obtiennent du même coup un renforcement de ce moi, qui se traduit par une affirmation d'eux-mêmes à travers une affiliation avec des gens partageant les mêmes intérêts. Les psychanalystes ont démontré que la communication basée sur des intérêts, des opinions ou des valeurs communes, a pour conséquence de revaloriser l'individu face à lui-même et engendre, du même coup, une assurance personnelle. Ces phénomènes ont pour effet d'inciter la personne à établir une continuité de l'expérience vécue. Si l'expérience est maintenue de façon excessive on la désigne, sur Internet, de cyberdépendance. Ces effets sont perceptibles dans le discours des internautes, entre autres, lorsqu'ils admettent être moins disponibles pour leur entourage et leurs amis et, lorsqu'ils admettent délaisser la télévision et ses contenus normatifs. Donc, le moi intime pourrait être en situation de renforcement dans le cyberespace.


Le transfert de l'expression du moi intime au moi social devrait apporter des changements au niveau identitaire

On peut maintenant se demander quelle répercussion l'expression du moi intime aura sur le moi social. A prime abord, il semble qu'il y ait transfert de l'un à l'autre. Comme on a pu le constater dans l'analyse des questionnaires, le principal facteur de changement au niveau des relations sociales s'est concrétisé par un partage des connaissances acquises sur Internet. Le moi intime, au travers de ses échanges virtuels, s'extérioriserait. Il ne s'agit pas du moi profond, très intime et secret, puisqu'il y aura toujours une part de chacun qui restera cachée. Je fais plutôt référence à l'assurance acquise par l'individu, qui se concrétise par une affirmation de lui-même et de ses intérêts et se transpose sur son moi social. Or, la juxtaposition du moi intime et du moi social est ce qui définit notre identité personnelle. L'identité, comme nous l'avons déjà signalée,se caractérise par le paradoxe de se sentir, à la fois semblable et différent des autres. Donc, l'acceptation de nos similitudes et de nos différences est le résultat du degré d'équilibre entre le moi intime et le moi social. J'ai pu constater, autant par les réponses aux questionnaires que par les conversations réelles avec des internautes, que la fierté des gens branchés est à la hausse. Le moi intime se renforce, se manifeste et s'étend au moi social. Ils sont tous fiers de faire partie de la minorité branchée ; ils sont fiers d'avoir des choses à apprendre aux autres ; ils se valorisent face à leurs nouvelles conquêtes. Ils savent qu'ils sont écoutés pour ce qu'ils ont à dire et qu'ils ne seront pas jugés sur leur apparence. Ils en profitent pour se libérer, s'extérioriser et, par conséquent, ils acquièrent l'estime d'eux-mêmes et des autres. On peut avancer l'hypothèse voulant que le développement du moi intime dans le cyberespace et son transfert vers le moi social, additionné d'une expression personnelle au niveau collectif, permettrait d'atteindre un meilleur équilibre de l'identité individuelle.



Est-ce que cet équilibre tant recherché peut se réaliser dans de nouvelles formes de socialité ? Maffesoli (1988) propose d'analyser le phénomène du néo-tribalisme comme une nouvelle forme de relation sociale qui devrait substituer "le social rationalisé par une socialité empathique". Le néo-tribalisme est-il perceptible dans le discours des internautes québécois ?


Les premiers signes de la formation du néo-tribalisme sont perceptibles dans le cyberespace



Ce discours permet de percevoir des indices de l'apparition de nouvelles tribus basées sur une socialité empathique. Je distingue, dans les discours, la création de trois types différents de tribus. Un premier est centré autour des nouvelles amitiés ou de nouvelles relations, basées sur le partage d'intérêts communs. Ces regroupements peuvent, à première vue, être caractérisés d'éphémères puisqu'il y a généralement un mouvement continuel entre les membres. Par contre, sa structure ou son noyau (les intérêts et affinités) est durable et c'est précisément ce qui unit les membres entre eux et consolide la tribu. Le deuxième type de tribu s'actualise à travers une extension de la communication familiale. Plusieurs répondants ont évoqué le rapprochement qu'ils peuvent faire, sur Internet, avec leur parenté éloignée. La distance, qu'elle soit de type continental ou régional, n'a plus la même incidence sur les relations familiales. La communication est passée du type formel (lettres ou appels téléphoniques) au type interactif et continue entre les membres de la famille. Ceci, sans compter le partage des connaissances acquises sur Internet, entre les membres de la famille immédiate, qui constitue une autre forme de rapprochement. Les internautes y voient un effet de rapprochement positif, qui provoque une consolidation de leurs rapports familiaux. Le troisième type de tribu prend place dans le réel. La tribu se crée par des regroupements d'internautes ayant des objectifs particuliers. On peut mentionner les regroupements informatiques tel que le Club Macintosh de Québec dans lequel les membres participent au développement du club, organisent des activités concrètes : voyages, formation informatique, entraide. Il y a aussi des regroupements de programmeurs. D'autres regroupements centrés autour du développement des sites web organisés, entre autres, par des Cyberprofs. Ces rencontres d'internautes dans le réel sont autant de facteurs qui démontrent que les relations sociales entretenues sur les réseaux tendent à s'extérioriser au monde réel.



Donc, il ressort que le concept du néo-tribalisme de Maffesoli (ou des communautiques de Harvey) tient la route. Les gens se créent de nouvelles amitiés basées sur des intérêts communs dans le cyberespace. Cependant, le concept de l'individualisation accrue de Lipovetsky est de moins en moins perceptible. Bien que l'individualisation puisse être considérée comme le premier facteur qui incite les gens à se brancher à Internet, pour combler leurs intérêts particuliers ou leurs curiosités. L'individualisation fait aujourd'hui place à de nouvelles formes de socialité.

POUR EN APPRENDRE ENCORE BEAUCOUP PLUS : http://www.ant.ulaval.ca/mir/chapitre5.html
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