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"Out" au travail =? réussite professionnelle

Envoyé par Ashuap en date du 6 août 1998 à 05h08
Bonjour,

Je voudrais amener une réflexion qui est peut-être à la limite du sujet de la semaine mais je crois que c'est intéressant. C'est un peu sur le fait d'être "out" dans son milieu de travail. Je travaille et étudie dans une université d'administration et j'ai écrit un article pour les journaux étudiants. Mais je n'ai encore jamais eu le courage de le faire publier dans ces journaux. Je trouve mon manque de courage très facheux, mais... Il tend à dire que ceux qui sont "out" ont plus de chance de réussir, donc d'avoir une meilleure condition socio-économique ! Voici l'article, vous pourrez commentez si vous voulez.

Homosexualité et organisations

L'homosexualité est un sujet de moins en moins tabou et tient une place de choix dans les articles des journaux culturels, et tout téléroman qui se respecte compte au moins un personnage gai ou lesbien. On peut y voir une certaine ouverture de la société, d'accord, mais qu'en est-il aux HEC ? Si on n'y dénote pas d'homophobie criante, le thème semble tout simplement ignoré. Ça ne fait pas partie des sujets de discussion ! Et de toute façon, qu'est-ce que ç'a à voir avec l'administration ? On peut répondre tout en résumant bien l'ensemble de la problématique : le besoin de vivre, communiquer et être reconnu par les pairs comme une personne entière - avec une vie professionnelle et personnelle, tout comme les collègues hétérosexuels.

Approfondissons. Les réflexions qui suivent sont pour la plupart tirées du livre Straigth Jobs, Gay Lives d'Annette Friskopp et Sharon Silverstein et de l'article de Nancy Day et Patricia Schoenrade, Relationships between communication about sexual orientation and work attitudes. Le livre est le produit d'une recherche menée aux États-Unis sur des diplômé(e)s gais et lesbiennes du MBA de la Harvard Business School ; l'article est le fruit d'une enquête menée auprès de 900 travailleurs et travailleuses gais, lesbiennes et hétérosexuels américains.

Tout d'abord, quelles sont les principales raisons de ne pas dévoiler son orientation sexuelle ? La peur de la discrimination ; la location géographique ou une connaissance spécifique de l'homophobie corporative ; un désir de garder sa vie privée ; l'appartenance à une génération ou une culture obligeant à la discrétion ; une expérience négative de " coming out " ; le sida et l'inconfort avec le processus de dévoilement. Un fait qui pourra en surprendre plusieurs est que l'inconfort avec le processus de " coming out " est une des raisons majeures de ne pas avouer son homosexualité puisque ce n'est jamais le bon moment. Mais il n'y a jamais de bon moment et c'est d'ailleurs pourquoi plusieurs choisissent une voie détournée pour dévoiler leur orientation sexuelle. Par ailleurs, c'est auprès du mentor hétérosexuel qu'il est le plus difficile de révéler son homosexualité. La personne homosexuelle a peur des réactions qu'elle pourrait créer autour d'elle, et ce, même si elle se doute fortement que ça n'irait probablement pas si mal. Le fait est qu'elle ne veut pas être traitée différemment. Un autre obstacle à la " sortie " est l'attitude des hétérosexuels qui peuvent ne pas connaître les coûts psychiques du maintien du secret et qui conseilleront : " Moi, ça va, mais je ne crois pas que c'est la même chose pour les autres, alors ne le leur dis pas. "

Quels sont les coûts associés à la dissimulation de son orientation sexuelle ? Il y a le stress de la voir dévoilée ; la vulnérabilité au chantage ; un certain inconfort avec la socialisation ; un manque de profondeur dans les amitiés avec les hétérosexuels ; une estime personnelle plus faible et moins de protection légale dans les cas de discrimination. Il est normal pour des confrères de travail d'avoir quelque degré de connaissances sur la vie personnelle de leurs collègues et cette connaissance peut devenir un élément critique dans l'établissement de la confiance sur laquelle les relations de réseau et de mentorat sont construites. Souvent, les employés ayant un manque au niveau de leurs réseaux et du mentorat n'ont pas un avancement de carrière aussi satisfaisant que leurs collègues. Si la personne homosexuelle n'est pas capable de communiquer une part de son identité personnelle et sociale, la vraie identification ne peut prendre place. La satisfaction au travail est dépendante en partie des relations avec les confrères et les superviseurs. De plus, le maintien du secret demande souvent une inhibition au niveau des interactions sociales qui sont alors moins naturelles. Le travailleur ou la travailleuse a à restreindre ses activités sociales pour éviter d'être vu par des collègues avec un partenaire social de même sexe que lui ou elle. Plusieurs gais et lesbiennes disent que cacher leur vie personnelle engendre beaucoup de stress et d'anxiété, requiert beaucoup d'efforts et a comme résultats l'insatisfaction, l'impression d'être incompris, sous pression, détaché et aliéné.

Mais il y a aussi des coûts pour l'entreprise : le risque de passer à côté de la meilleure personne pour tel poste si celle-ci n'inscrit pas sa participation à des activités gaies dans son c.v. ; la personne homosexuelle ne fait pas autant partie de l'équipe ; son moral et sa productivité peuvent être diminués ; la loyauté est moins grande et on peut même assister à une exode des cerveaux.

Les gais et lesbiennes utilisent différentes méthodes pour le dévoilement de leur orientation sexuelle. Entre autres, la sortie sélective où le gai ou la lesbienne choisit à qui il ou elle dévoilera son orientation sexuelle. Aussi le " coming out " à travers les médias (!) qui permet de passer outre l'inconfort de la conversation face à face. Également, l'utilisation d'un plan stratégique qui consiste souvent à établir d'abord une forte image de performance au travail, d'identifier ensuite ses alliés, de tester l'eau et finalement de " sortir ". Enfin, il y a ceux et celles qui sont toujours " out " et qui parlent de leur orientation sexuelle sans gêne aucune. Cette dernière technique est probablement la plus difficile mais semblerait aussi la plus satisfaisante. Les gais et lesbiennes dont l'homosexualité est connue sont souvent plus impliqués affectivement dans l'organisation, ont une plus grande satisfaction au travail, perçoivent que l'exécutif donne plus de soutien pour leurs droits, ont moins d'ambiguïté de rôle et de conflit de rôle et aussi moins de conflits entre le travail et la maison. D'ailleurs, les attitudes des homosexuels " out " envers le travail ne différeraient pas significativement de celles des hétérosexuels.

En résumé, pourquoi sortir du placard ? Pour combler le besoin d'être " complet ", d'être une personne " intégrale " ; pour se sécuriser au moyen de protections ou bénéfices particuliers (souvent légaux) et pour des mobiles sociaux comme éduquer ou servir de modèle. L'éducation fait s'écrouler les stéréotypes sur les homosexuels si le gai ou la lesbienne est performant au travail et considéré comme " normal " par ses pairs. Il est très important pour les jeunes homosexuels d'avoir des modèles, et ceux du milieu des affaires sont particulièrement rares. Un manque à ce niveau amène souvent les sentiments d'isolation et de solitude.

Vivre ouvertement son orientation sexuelle, c'est être finalement soi-même. C'est ne plus avoir à refuser de participer à une activité sociale " accompagnée ". C'est être plus satisfait au travail puisque plus impliqué affectivement. C'est aider d'autres gais et lesbiennes. C'est éduquer. C'est ne plus mentir quand on nous questionne. C'est approfondir ses relations. C'est peut-être même être un petit peu plus heureux. Les bénéfices ne valent-ils pas largement les risques ? Qui essaiera, verra.


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Je réalise...

Envoyé par Catou en date du 8 août 1998 à 15h17 en réponse à (reçu de Ashuap le 6 août 1998 à 05h08).
Bravo Ashuap. Ton texte est une contribution majeure à la question de la semaine.

Il m'a fait réaliser des aspects de la vie des gais et les lesbiennes dont je n'avais pas conscience.

C'est vrai que dans les milieux de travail les hétérosexuels se font beaucoup connaître et apprécier en parlant de leur vie familiale, de leurs activités de loisirs, etc. À l'inverse, les homosexuels sont souvent très discrets sur ces aspects de leur vie. En tout cas, moi je suis comme ça.

Ce que je réalise avec ton texte, c'est que ce silence peut être un handicap au niveau de l'avancement professionnel dans un certain nombre de milieux, là où la promotion repose sur une relation de confiance qui dépasse la vie de travail. C'est vrai aussi que cette discrétion (sinon carrément le secret) qui caractérise beaucoup d'entre nous a pour effet qu'on se sent à l'écart. On écoute les hétérosexuels au travail qui parlent de leur vie privée. On est de bons écoutants mais combien de fois ose-t-on parler de nos relations et nos sorties avec nos amis et amies?

Une autre chose que je réalise en lisant ton texte, c'est qu'un tas de gens dans leur cv vont facilement parler de leur implication bénévole auprès des malades, des jeunes, des clubs de loisir. Mais j'en connais beaucoup moins qui vont faire valoir leur implication sociale dans le milieu gai ou lesbien.

En conclusion, je ne peux que constater avec toi que le milieu de travail est souvent l'endroit où, bien qu'intégré au niveau professionnel, on agit comme des êtres incomplets et on ressent le poids de notre marginalité. Et cela pour ne rien dire des party de bureaux accompagnés... Heureusement, dans mon milieu, c'est plus rare et quand ça arrive, je peux toujours dire que j'ai la chance (!) d'être célibataire...


Merci de ta contribution Ashuap.

Cat.


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Il faut lire le précédent message...

Envoyé par Lexilé en date du 6 août 1998 à 22h21 en réponse à (reçu de Ashuap le 6 août 1998 à 05h08).
Bravo! Ashuap pour le texte fort intéressant que tu nous offres à lire ci-haut. Le titre est un peu trop HECéen à mon goût, mais le contenu est bouleversant de vérité. En fait, au fur et à mesure que je le lisais, je me disais "Mais oui, c'est ça! En plein ça!" En fait, ce qui me plait le plus c'est la clarté du texte et j'espère que tout le monde prendra le temps de le lire et de l'imprimer. Et il faudrait le publier, au moins dans l'Intégral ou RG, mais surtout dans le Devoir ou La Presse pour que les "autres" y aient accès. Tout le monde devrait pouvoir lire ce texte qui permet de bien comprendre la pression que les gais subirent, subissent et subiront tant et aussi longtemps que l'homosexualité sera considérée comme une marginalité, une bizarrerie de la nature qu'il faut au mieux "toléré". La tolérance n'est pas suffisante... seul la reconnaissance pleine et entière assure une parfaite liberté!

J'ai été touché tout particulièrement par le point traitant de la difficulté de faire son sortie auprès de son mentor... Des mauvaises langues m'avaient rapporté que mon mentor avait eu des démêlés pénibles avec des homosexuels dans sa vie personnelle. Et ce soir je rentre chez-moi et je trouve dans mon courrier un mot de remerciement de mon mentor pour des fleurs que je lui ai fait parvenir à l'occasion de la parution d'un livre. Je ne l'ai pas revu depuis 4 ans, mais il sait certainement maintenant que je suis gai, le vent venu de ma nouvelle terre d'exil s'étant certainement chargé de l'en informer.

Ce mentor était à l'origine de mes ambitions, de mes espoirs de carrière universitaire. Il m'avait soutenu dans mon entreprise de toutes ses forces, mais dans les dernières foulées, il ne savait pas que je vivais mal mon homosexualité, que je m'empêtrais dans les mensonges, les secrets, la peur du sida, et il n'a jamais su que je venais de perdre un de mes meilleurs amis de cette terrible maladie quand j'ai décidé d'abandonner la rédaction de ma thèse... Si j'avais vécu ouvertement ma vie gaie sans craintes ni remords, j'aurais peut-être réussi à réaliser mes ambitions et à répondre à la confiance que mon mentor avait placé en moi. Mais le sort en a décidé autrement et je crois que ma condition de gai associée à d'autres éléments de mon caractère et de mon environnement social et économique (l'obligation de travailler pour vivre tout en étudiant pendant certaines périodes) sont responsables des avenues tortueuses que j'emprunte pour gagner ma vie.

"Vivre ouvertement son orientation sexuelle...c'est approfondir ses relations et c'est peut-être même être un petit peu plus heureux." selon Ashuap. Tout à fait d'accord, mais il faut aussi dire que "sortir" ne règle pas tout! Ce n'est pas la panacée universelle, il y a tout le reste.. et Ashuap, j'en suis certain, le sait fort bien.


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Le Village gai un ghetto?

Envoyé par LAP en date du 7 août 1998 à 11h01 en réponse à Il faut lire le précédent message... (reçu de Lexilé le 6 août 1998 à 22h21).


Je viens de lire une couple de fois le texte d'ASHUAP. D'accord avec toi LEXILE pas mal interessant ce texte. A conserver et a relire. Mais aujour'hui, apres avoir lu tout ce que j'ai lu, je vais me limiter a la question du GHETTO. Ce que j'ai voulu dire c'est ceci. Quand j'etais plus jeune, j'ai eu envie parfois de me chercher du travail comme serveur ou barman dans un bar gai. Je me demandais si ce n'aurait pas ete plus facile a vivre que d'avoir a affronter tous les jours des gens potentiellement hostiles a mon egard. Aujourd'hui, je suis heureux de ne pas l'avoir fait, pour plusieurs raisons, mais, en particulier, parce que je pense que je recherchais une vie de ghetto ou une vie qui aurait ete un ghetto pour moi. Je ne pretends donc pas que le Village gai de Montreal est un ghetto, comme certains le disent, je dirais plutot qu'il peut peut-etre etre vecu comme telpar certains de ceux qui l'habitent, ou y travaillent ou ne font que le frequenter. Est-ce que ca se tient?


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Les Villageois...

Envoyé par Lexilé en date du 8 août 1998 à 15h35 en réponse à Le Village gai un ghetto? (reçu de LAP le 7 août 1998 à 11h01).
C'est tout à fait clair et on ne peut plus vrai... En fait, le Village on en fait ce qu'on veut, un ghetto, au sens littéral du terme ou un instrument de bien-être, d'affirmation, de socialisation, de réalisation socio-économiques. On peut y inscrire des ambitons, les y restreindre, s'en servir comme tremplin aussi, vers le Grand Monde. C'est arrivée à des artistes, des commerçants, des professionnels.

Il n'en demeure pas moins qu'en refusant de te faire une carrière restreinte au Village, une vie centrée sur Village, tu as ouvert non seulement tes horizons, mais aussi sans doute ceux des "autres" avec qui tu travailles...

À lire : Catou qui apporte des informations très intéressantes à la suite du texte d'Ashuap qui demeure un must...


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Re

Envoyé par Paillasson en date du 7 août 1998 à 20h14 en réponse à Le Village gai un ghetto? (reçu de LAP le 7 août 1998 à 11h01).
Pour répondre à ta question, oui. Parfois il faut dialoguer pour arriver à se comprendre et sur le net des textes peuvent facilement être interprétés autrement. Paillasson :-))

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