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Théâtre gai : LA DÉCHIRURE

Envoyé par Lexilé en date du 3 novembre 1998 à 14h51

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UNE VISITE INOPPORTUNE
de COPI (Espace Go)

Un extrait de l'article de Danny Létourneau dans l'Intégral (version internet):

Mon bel amour, ma déchirure...

Par Danny Létourneau

Les critiques ont souvent qualifié le théâtre gai de misérabiliste, comme si l’homosexualité affichée sur scène prenait plaisir à se vautrer dans la victimisation et dans l’autodestruction. Lieu où les amours sont quasi-absolus, les passions déchaînées, la solitude et la mort omniprésentes, il est vrai que le théâtre gai crée un certain sentiment de lourdeur. Pourtant, n’est-ce pas là son fondement?

Le théâtre est beaucoup plus qu’un miroir qui réfléchit une réalité concrète, qu’elle soit sociale ou individuelle. Pour être pleinement vivant, le théâtre se doit d’explorer les fondements d’une réalité, c’est-à-dire les racines profondes parfois presque mythiques qui sous-tendent son existence.

Les personnages gais ont souvent quelque chose d’irréel, mais il n’en demeure pas moins qu’ils nous interpellent. Le théâtre gai est tragique. Il n’est pas sous l’égide d’Apollon où règne la beauté et l’harmonie, mais sous Dionysos qui prit naissance dans la déchirure.

(...)

Être gai, ou se définir comme tel, c’est, d’abord et avant tout, avoir été déchiré. C’est avoir rompu avec la tradition. C’est avoir laissé tomber des modèles qui ne nous convenaient plus. Comme Dionysos, notre corps s’est reconstitué avec le désir qui lui était propre.

Le théâtre gai est un théâtre de la déchirure. C’est cette dernière qui fonde ce que nous sommes aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non. Il n’y a, par contre, absolument rien d’aberrant ou de déprimant là-dedans. Le théâtre gai nous interpelle parce qu’il nous rappelle de façon imagée et symbolique nos fondements.

"Mythologie gaie"
Le titre complet de la pièce à succès de Michel Marc Bouchard n’est-il pas Les Feluettes ou la répétition d’un drame romantique? Ce n’est pas la réalité telle que nous pouvons la vivre tous les jours qui est peinte sur scène, mais les mouvements d’une structure identitaire que nous pourrions appeler «mythologie gaie».

Voici une réplique de Mgr Bilodeau extraite de la pièce Les Feluettes:

«Que Dieu me pardonne, qu’il me pardonne les sacrements que mes mains ont pu bénir. Qu’il me pardonne. (Temps). Je ne comprenais pas la force qu’il y avait entre vous. Cette force qui vous avait fait surmonter le fouet, le reniement d’un père, les humiliations publiques, la mort d’une mère, l’abandon d’une vie meilleure ailleurs, d’une richesse ailleurs... Cette force qui vous menait en fuyant avec vous mais...(Il monte sur la scène) J’ai réussi à ouvrir la porte du grenier. Tout était en flammes. Vallier et toi, vous étiez enlacés, agonisants. Je me suis approché de toi... Je t’ai séparé des bras de Vallier et je t’ai traîné à l’abri du feu. Je suis retourné pour chercher Vallier mais, tout près de lui... les «jamais» que tu avais prononcé se répétèrent avec violence. «Jamais, Bilodeau! Jamais!» J’ai fait demi-tour... Je l’ai laissé là... J’ai refermé la porte. C’était Sodome qui brûlait et j’étais Dieu qui vous punissait en te laissant vivre, en laissant mourir Vallier.»

L’amour idyllique et la mort sont des thèmes qui reviennent constamment dans le théâtre gai. Les êtres sont purs, même les actes vils ont un caractère noble (Bilodeau laisse mourir Vallier à cause de son amour pour Simon). Rappelons-nous aussi que Vallier avait étranglé sa mère par amour.

Dans Being at home with Claude de René-Daniel Dubois, Yves égorge Claude pour ne pas briser l’idéal fusionnel de leur amour. En d’autres mots, l’absolu semble toujours être de mise. On sacrifie tout et on abandonne tout pour un idéal. Peu importe le prix: que ce soit le sentiment de vide ou la solitude.

Certains ont reproché au théâtre gai de ne pas être assez nuancé. De clivage entre les bons homos et les mauvais hétéros. Peut-être.

Représentation de l'imaginaire gai
Cependant, comme je le mentionnais précédemment, le théâtre n’a pas à être une représentation exacte de la réalité des homosexuels. Il est plutôt une représentation de leur imaginaire. À moins que nous ne voulions, bien entendu, réduire le théâtre à un instrument d’éducation sur la vie des gais et des lesbiennes.

Un Yves ou un Bilodeau remue l’intérieur d’un spectateur. S’il se reconnaît en eux, ce n’est pas pour aller trancher la gorge de son amant sur le plancher de la cuisine. C’est par les sentiments qu’ils suscitent chez lui. Ils incarnent sur scène une partie de son imaginaire. Et dans l’imaginaire gai, la tension entre les opposés et la déchirure produite par le désir y occupent une place prépondérante.

Si les pièces de théâtre gaies connaissent un si grand succès auprès du public en général, ce n’est pas, je crois, dû à un plus grand intérêt ou à un plus grand désir de compréhension de l’homosexualité. C’est qu’à cette époque de grand chambardement des idées et de destruction des structures anciennes, les gens s’identifient au climat de tension et de déchirement qui règne dans le théâtre gai.

Cette idée n’est pas nouvelle. Certains avaient déjà tracé un parallèle semblable entre le succès remporté par Hosanna de Michel Tremblay et la crise identitaire du Québec.

L’été dernier, le Théâtre du lys Arc-en-ciel présentait la pièce Jeffrey de Paul Rudnick. Bien que cette dernière pût amener les gais à considérer certains éléments «tragiques» et «sérieux» de leur vie avec un brin d’humour et de légèreté, la tension entre les absolus y était malgré tout présente. Jeffrey se trouve «déchiré» entre deux options: l’abstinence ou le sida. La pièce est loin d’adopter une vision de victime ou pessimiste des gais et pourtant...

Tout ceci pour dire que, loin d’être un sceau de misérabilisme, le phénomène de déchirure qui caractérise le théâtre gai est une partie intégrante de ses racines, et bien qu’il puisse parfois être comique, il aura toujours une petite teinte tragique!








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