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RAPPORT TREMPE -

Envoyé par Lexilé en date du 6 octobre 1998 à 18h58

(source http://cicnet.ci.gc.ca/legrev/final/images/cov2f.gif)



Extrait du Rapport Trempe intitulé : "Au-delà des chiffres" paru en janvier 1998.

""Au cours de nos délibérations et de nos consultations, et dans les mémoires qui nous ont été soumis, nous avons souvent observé deux opinions en apparence contradictoires de ce qui devait constituer la famille. Les uns disaient que la loi de l'immigration devait interpréter la « famille » dans ce qu'il est convenu d'appeler son sens « canadien » ou « classique ». Ils nous recommandaient donc de maintenir le statu quo, voire d'envisager des dispositions plus restrictives, et d'appliquer le principe de réunification familiale seulement au conjoint de sexe opposé d'un citoyen ou d'un immigrant reçu, à leurs jeunes enfants et, peut-être, à leurs parents. Les autres soutenaient qu'il fallait donner à la famille une définition « généreuse, tenant compte des différences culturelles » pour éviter de la séparer d'êtres essentiels à son bonheur. Les tenants de cette opinion jugeaient ethnocentriques et discriminatoires les définitions de la famille contenues dans la loi actuelle.

Les deux thèses nous semblent porteuses d'une fausse dichotomie. La seconde oublie que la notion de famille nucléaire en tant que foyer de dépendance affective, économique et culturelle n'est pas une invention européenne récente, mais est répandue à travers le monde depuis la nuit des temps. La famille étendue revêt plus ou moins d'importance selon la culture, mais la famille nucléaire composée des parents et de leurs enfants est l'unité élémentaire de presque toute société. Les Canadiens de toutes origines ont aussi toujours attaché beaucoup d'importance à la famille étendue. L'union libre a eu cours et a même été reconnue à certaines fins de droit en divers lieux et à diverses époques de l'histoire de l'Europe et dans certaines sociétés non européennes. L'union homosexuelle est une réalité. Enfin, la plupart des familles de toutes origines culturelles comptent dans leur ascendance des parents de facto, des adoptions informelles d'enfants illégitimes et des parents à charge vivant sous le même toit.

Ces réalités ne sont pas nouvelles. Le fait nouveau, c'est la généralisation de ces situations familiales au Canada. Le recensement de 1996 révélait que près de 12 % des familles au Canada vivent en union libre (une hausse de 50 % en 10 ans) [nota 1] et que près de la moitié de ces familles ont charge d'enfants. Un autre fait nouveau, c'est la conviction de plus en plus répandue que la négation de ces réalités est contraire à nos notions de justice et d'égalité. Nous partageons cette conviction.

La Loi sur l'immigration actuelle tente de définir les liens de parenté qui peuvent autoriser le parrainage dans la catégorie de la famille. Au fil des ans, on a modifié ces définitions en fonction d'objectifs politiques, souvent pour contenir le flot d'immigration. On a aussi créé des catégories spéciales pour pourvoir à des situations « exceptionnelles », comme les « frères et soeurs orphelins » ou les « derniers survivants », parfois par règlement et parfois par le biais plus discret de directives administratives. Nous proposons d'asseoir la réunification de la famille sur une base plus fonctionnelle.

Notre position rejoint celle de la Cour suprême du Canada, qui a déclaré que « c'est l'utilité sociale de la famille que nous reconnaissons, et non pas la forme correcte qu'elle doit revêtir » [nota 2]. Dans sa dissidence, le juge Claire L'Heureux-Dubé est allée plus loin, remettant en question le « consensus invérifiable » [nota 3] qui attache une valeur distincte à la « famille traditionnelle » composée de deux parents et d'enfants à charge. « Les familles monoparentales, dirigées notamment par la mère, prédominent, a-t-elle écrit; un nombre croissant de parents ne se marient jamais; le divorce est courant, de même que le remariage; un nombre significatif de familles se composent du mari et de la femme sans enfants à la maison; les lesbiennes et les homosexuels établissent des relations solides et à long terme [...] Les familles non traditionnelles peuvent aussi promouvoir de véritables valeurs familiales » [nota 4].

Il n'appartient donc pas à l'État de s'immiscer dans ces détails; les particuliers savent mieux que quiconque où se situent leurs priorités affectives et, par conséquent, qui sont ceux qui constituent leur famille.

(i) Redéfinition du « conjoint »

Vu les privilèges accordés aux garants de conjoints et d'enfants à charge, il nous apparaît indispensable de maintenir l'interdiction des mariages de convenance contractés « principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada [...] et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint ». Nous croyons aussi que la définition du conjoint à travers tout le programme d'immigration doit continuer d'exclure la bigamie.

Il nous apparaît tout aussi important de revoir les définitions du conjoint et des enfants à charge, la première parce qu'elle est terriblement démodée et la seconde parce qu'elle est complexe et difficile à administrer. Les nouvelles définitions s'appliqueraient à tous les programmes d'immigration.

Le principe de base qui fonde la notion de "conjoint" est la dépendance émotive dans une situation de cohabitation. Si nous avons tempéré les exigences du premier niveau de la nouvelle catégorie de la famille, c'est que nous sommes persuadés que la séparation involontaire des membres de la famille immédiate est une source de souffrance affective. Nous continuons d'utiliser le terme de « conjoint » pour désigner l'un et l'autre des partenaires du ménage, « mari » ou « femme », mais la notion de conjoint doit évoluer dans la loi de l'immigration tout comme elle a évolué dans la société et dans le droit de la famille au Canada. Ce n'est pas qu'une question de « modernisation ». Les sociétés ont autorisé en divers lieux et à diverses époques des façons de joindre et de dissoudre le couple contraires à la pratique prescrite par la loi actuelle, qui décrit le mariage comme un mariage « légal » et le « conjoint » comme une personne du sexe opposé.

Dans ses directives, le ministère se montre déjà plus ouvert envers les conjoints de fait et les unions homosexuelles, mais les requérants restent exposés au caprice de règles administratives qui ne sont l'objet d'aucune publicité. Pour des raisons de transparence et d'équité, ces règles doivent être inscrites dans la loi. La notion de « conjoint » doit tenir compte de la dépendance affective démontrée par la vie en commun. D'autres pays, dont le Royaume-Uni, le Danemark et la Nouvelle-Zélande, penchent pour une telle définition. La discrimination de fait qu'exerce la législation actuelle contre les homosexuels et les lesbiennes doit être reléguée aux oubliettes.



RECOMMANDATION 32
Pour les besoins de la nouvelle Loi sur l'immigration et la citoyenneté, le « conjoint » devrait être défini comme 1) une personne jointe par les liens d'un mariage contracté légalement dans l'État où il a eu lieu, ou 2) une personne jointe par des rapports intimes et au moins un an de vie commune, avec preuve à la charge des requérants dans les deux cas. ""


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