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DISCRIMINATION

Envoyé par GDMANIMA en date du 14 septembre 1999 à 15h31

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Le Devoir, 7 septembre 1999,
Auteur : Laurent McCutcheon, Responsable de l'action sociopolitique de la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Grand Montréal et président de Gai Écoute.


Don de sang des homosexuels: Le sécurisexe est-il vraiment sécuritaire?; On ne peut interdire aux personnes qui s'adonnent à des pratiques sexuelles considérées comme sécuritaires de faire don de leur sang



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Responsable de l'action sociopolitique de la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Grand Montréal et président de Gai Écoute

Devant l'interdiction pour les homosexuels de faire don de leur sang, Réal Ménard, député bloquiste, tenait une conférence de presse le 27 aout dernier entouré des docteurs Réjean Thomas et Michel Alarie, spécialistes en la matière. Ils proposaient comme piste de réflexion que les homosexuels désireux de donner de leur sang s'abstiennent de toute relation sexuelle avec un autre homme pour une période d'au moins six mois avant le don. Il faut louer le courage de ces personnes dont la proposition a le mérite de lancer le débat. Toutefois, cette proposition suscite de nombreuses interrogations.

On se souviendra d'abord des initiatives de Joël Pinon qui, pour se qualifier comme donneur de sang, avait répondu par la négative à la question «Avez-vous eu des relations sexuelles avec un autre homme depuis 1977?». Il avait alors en main une attestation médicale démontrant sa séronégativité. Après coup, il convoquait les médias pour leur faire part de son expérience et exprimait l'idée que la politique d'exclusion des homosexuels était discriminatoire.

Je ne peux approuver l'attitude de M. Pinon, qui a déjoué le système même s'il a offert les garanties nécessaires. Toutefois, il me faut reconnaître que l'exclusion totale et absolue des homosexuels comme donneurs de sang dès qu'ils ont eu une relation sexuelle depuis 1977 est discriminatoire. Admettons qu'à ses débuts cette politique avait un fondement. Les premières victimes du VIH et du sida étaient des hommes homosexuels. En réaction préventive, on a interdit le don de sang des homosexuels puisqu'ils présentaient un risque de transmission du VIH.

Cependant, depuis 1977, les choses ont évolué. On connaît la maladie et ses modes de transmission. On a ainsi élaboré des programmes de prévention à l'intention des homosexuels. On a même inventé un nouveau mot qui reflète bien une nouvelle réalité, le sécurisexe. Cette pratique est maintenant reconnue par tous les intervenants et même par le ministère de la Santé et des Services sociaux qui en fait la promotion dans une brochure intitulée Bien vivre son orientation sexuelle. Il y recommande: «Vous devez vous protéger de l'infection par le VIH et par les autres MTS en adoptant des comportements sans danger dans vos relations sexuelles... Le sécurisexe n'est pas synonyme d'abstinence et contribue, au contraire, à vous libérer l'esprit des craintes de contracter une MTS ou le VIH.»

Incohérent, voire contradictoire

L'interdiction de donner du sang d'une part et la pratique sexuelle sécuritaire d'autre part nous placent devant une incohérence, voire même une contradiction.

La vie des receveurs de sang ne peut en aucun cas être mise en danger et tous les efforts de prévention doivent être mis de l'avant pour assurer l'intégrité du processus des transfusions sanguines. Ma vie est aussi importante que celle du receveur. Si les spécialistes nous proposent des pratiques sexuelles sécuritaires, ils doivent avoir une attitude cohérente en regard des dons de sang. A l'opposé, si les pratiques sexuelles dites sécuritaires ne le sont pas autant qu'on nous le dit, alors on est en défaut.

Je demande à nos spécialistes d'ajuster leurs recommandations de façon cohérente entre le donneur et le receveur. On ne saurait maintenir la confiance du public si les politiques souffrent d'une semblable incohérence. Si certaines pratiques sexuelles sont sécuritaires, comment peut-on interdire aux personnes qui s'y adonnent de faire don de leur sang? De deux choses l'une: elles sont sécuritaires et l'on permet les dons de sang ou elles ne sont pas sécuritaires et on informe correctement les homosexuels de cette réalité.

Discriminatoire?

Quant à la discrimination, faut-il croire que la diminution de la période d'abstinence aura pour effet de rendre la politique moins discriminatoire? Ce qui est discriminatoire, c'est d'exclure tout un groupe de personnes sans considérations de leurs relations sexuelles, que celles-ci soient à risques ou non. On nous a informés depuis de nombreuses années sur les risques de transmission du VIH. Comme je ne suis pas un spécialiste de ces questions, je me dois de faire confiance à ceux qui s'y connaissent. Or, selon leur enseignement, différentes activités sexuelles entre deux hommes sont sans danger.

Une politique non discriminatoire doit viser les individus qui ont des pratiques à risques et non pas s'attaquer à l'ensemble des homosexuels indépendamment de leurs pratiques. Lorsque l'on exclut les toxicomanes, on s'attaque au comportement des personnes qui présentent des risques. Lorsque l'on exclut les personnes qui ont voyagé dans certains pays depuis une période précise, on s'attaque au comportement des personnes qui présentent un risque. Dans le cas des homosexuels, ils sont exclus non pas sur la base de leurs comportements mais plutôt sur la base de leur orientation sexuelle. A titre d'exemple, si la masturbation et les caresses mutuelles ne présentent pas de risques, pourquoi exclure les homosexuels qui s'adonnent à ces pratiques?

La politique actuelle d'exclusion sur la base de l'orientation sexuelle est par conséquent discriminatoire.

Pour sa part, la proposition mise de l'avant à des fins de discussion ne changera pas le caractère discriminatoire de la politique du simple fait de réduire la période d'abstinence. La discrimination n'est pas une question de durée. Au mieux, elle sera moins sévère!

Aussi, si elle devait être retenue dans sa forme actuelle, la proposition aurait pour effet de consacrer un double discours officiel. Qu'il s'agisse de la vie du donneur de sang ou de celle de son receveur, les politiques doivent s'harmoniser. Ce qui est à risque ou à non-risque pour l'un devrait aussi l'être pour l'autre.

Le fait de ne pas donner de son sang ne prive pas les homosexuels d'un bénéfice quelconque. En dénonçant cette pratique jugée discriminatoire, les homosexuels cherchent à être reconnus de plein droit sans restrictions quant à leur orientation sexuelle. C'est le message qu'il faut leur envoyer en leur reconnaissant les mêmes obligations d'honnêteté et de franchise au moment de décider de donner du sang. Donner de son sang est un don de vie, nous dit-on; nous aussi, nous voulons être associés à ce geste et retirer la gratification de participer aux efforts visant à donner la vie.


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