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De la pornographie...

Envoyé par GDMANIMA en date du 16 août 1999 à 17h31
Dans son rapport paru en 1985, le Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution (Comité Fraser) a formulé plusieurs conclusions importantes au sujet de la pornographie au Canada. Le Comité s’est abstenu de donner une définition explicite de ce qu’il entendait par pornographie, surtout parce qu’il n’y a pas de consensus dans la population en général quant au sens de ce terme. Il a reconnu qu’il y avait lieu de distinguer entre pornographie et érotisme et que, si c’est la pornographie à caractère violent qui est la plus préoccupante, il y a tout de même une certaine continuité entre elle et la pornographie « douce ».

Le Comité a constaté qu’au Canada, le matériel pornographique était presque exclusivement importé et qu’on en trouvait en 1985 beaucoup plus facilement que 15 ans auparavant; il a toutefois admis que cette conclusion « ne résulte pas de statistiques précises et exhaustives. Il [s’agissait] plutôt d’une impression fondée sur le recoupement de certaines données statistiques, d’indications, de tendances et d’observations générales ». De plus, le Comité n’a pas pu déterminer avec exactitude s’il y a maintenant véritablement plus de personnes qu’autrefois qui se procurent du matériel pornographique. Il a conclu à cet égard :


Les études réalisées sur les revues et les cassettes vidéo ne confirment pas l’image résolument effrayante que nous ont présentée certains témoins [...]. Rien ne nous a prouvé que l’on fasse un grand usage de pornographie violente ou enfantine.


Le Comité a résolument soutenu que la pornographie représente et renforce des attitudes et des activités allant à l’encontre de l’égalité des hommes et des femmes et qu’elle présente comme étant normales et louables des images avilissantes, ce qui a pour effet « de perpétuer des mensonges sur [la] nature humaine [des femmes] et de nier leurs aspirations à l’égalité et à la plénitude de leurs droits humains ».

Le gouvernement libéral a proposé en 1984 une nouvelle définition de l’obscénité qui aurait tenu compte de ces critiques. Elle se serait lue ainsi :


Aux fins de la présente loi, toute chose est obscène lorsqu’une de ses caractéristiques dominantes est l’exploitation indue de l’un ou l’autre ou de plusieurs des éléments suivants, à savoir le sexe, la violence, le crime, l’horreur ou la cruauté, au moyen de représentations dégradantes de l’homme ou de la femme ou de toute autre façon.


Cette proposition aurait permis deux grands changements. Premièrement, elle aurait établi de façon très claire que la définition se serait appliquée à toutes les « choses » et non pas simplement aux publications, ce qui aurait permis l’élimination d’une ambiguïté persistante. Deuxièmement, elle aurait supprimé la nécessité d’un lien entre la sexualité et la cruauté, l’horreur ou la violence pour qu’il y ait obscénité.

Par contre, la proposition retenait le principe de l’« exploitation indue », et le critère des valeurs sociales se serait donc encore appliqué. L’ajout de la dégradation n’aurait pas apporté grand-chose aux sanctions existantes; en effet, les tribunaux disposent déjà des pouvoirs nécessaires pour statuer qu’il y a eu exploitation indue en se fondant sur des cas de dégradation.

Certains groupes féministes ont proposé une démarche différente en vue de définir la << pornographie>> ; elle ne serait nullement fondée sur une évaluation du seuil de tolérance de la société, mais plutôt sur une analyse prétendument objective visant à déterminer si une représentation peut être considérée comme véhiculant une approbation du comportement qui y figure. Dans une des versions proposées, celle de l’Association nationale de la femme et du droit, le terme « obscénité » serait remplacé par le terme « pornographie », défini comme suit :


La présentation ou représentation simulée ou réelle en spectacle, en paroles, en images, sur film ou enregistrement vidéo, ou autrement, d’un comportement sexuel où un ou plusieurs des participants sont ouvertement ou implicitement contraints à participer ou sont blessés ou soumis à une violence physique ou psychologique; ou qui comporte un déséquilibre de force évident ou implicite, imputable au jeune âge d’un participant ou à certains aspects de la présentation, qui porte à croire qu’un tel comportement est encouragé ou approuvé.


Le propos évident de ce projet de définition est que toute représentation d’une activité non consensuelle est préjudiciable et devrait être supprimée. Toutefois, du point de vue de l’application du droit pénal, pareille définition risquerait de poser de graves difficultés : bon nombre des expressions utilisées sont extrêmement vagues, et les tribunaux seraient obligés d’analyser les intentions des auteurs des représentations.

Le Comité Fraser a proposé une révision approfondie des dispositions du droit pénal concernant l’obscénité, qui serait allée beaucoup plus loin que les propositions faites par le gouvernement en 1984, tout en évitant le subjectivisme inhérent à certaines propositions féministes. Il a basé ses recommandations sur le point de vue voulant que la pornographie cause deux types de préjudices : les préjudices individuels subis par ceux qui y sont involontairement exposés, et le préjudice social qu’elle cause en sapant le droit à l’égalité.

L’aspect le plus remarquable de ces propositions était la suppression du critère des normes sociales. On voulait ainsi que la << pornographie>> ne soit pas assujettie à une évaluation fondée sur le « goût » mais sur des critères plus objectifs, bien qu’un fort élément d’analyse subjective demeure toujours nécessaire à l’égard des moyens de défense relatifs au but scientifique ou éducatif ou, concernant les productions caractérisées par la violence ou l’avilissement, à l’intérêt artistique. De plus, le caractère sexuellement explicite ne devait plus suffire, à lui seul, à justifier l’application de la sanction criminelle. Toutefois, on peut toujours se demander si, en fait, on ferait bien d’autoriser ainsi toute représentation à caractère sexuel, si explicite qu’elle soit, pourvu qu’elle ne comporte pas de violence, qu’elle ne mette pas d’enfants en jeu et qu’elle ne soit pas accessible à tout le public sans distinction.

Le Comité Fraser était d’avis que ses propositions étaient conformes à la Constitution : elles portaient peut-être atteinte à la liberté d’expression, mais la Charte permet d’assujettir les libertés qu’elle garantit à des limites raisonnables. Selon le Comité, ces limites pouvaient être justifiées du fait que la pornographie peut encourager l’inégalité de certains éléments de la société.
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De la pornographie et des juges

Envoyé par GDMANIMA en date du 16 août 1999 à 17h47 en réponse à De la pornographie... (reçu de GDMANIMA le 16 août 1999 à 17h31).
La Cour suprême du Canada a été amenée à définir l'obscénité, il y a quelques années.

D’après la Cour, la pornographie peut être divisée en trois catégories : 1) les choses sexuelles explicites, accompagnées de violence, 2) les choses sexuelles explicites, non accompagnées de violence, mais qui assujettissent des personnes à un traitement dégradant ou déshumanisant, et 3) les choses sexuelles explicites, non accompagnées de violence, qui ne sont ni dégradantes ni déshumanisantes. Les tribunaux, poursuit-il, doivent déterminer, du mieux qu’ils le peuvent, ce que la société tolérerait que les autres voient en fonction du degré de préjudice qui peut en résulter. Le préjudice désigne le fait de prédisposer une personne à agir de façon antisociale, par exemple, maltraiter physiquement ou mentalement une femme. Plus fort sera le risque de préjudice, moins grandes seront les possibilités de tolérance.

[…] La représentation des choses sexuelles accompagnées de violence constitue presque toujours une exploitation indue des choses sexuelles. Les choses sexuelles explicites qui constituent un traitement dégradant ou déshumanisant peuvent constituer une exploitation indue si le risque de préjudice est important. Enfin, les choses sexuelles explicites qui ne comportent pas de violence et qui ne sont ni dégradantes ni déshumanisantes sont généralement tolérées dans notre société et ne constituent pas une exploitation indue des choses sexuelles, sauf si leur production comporte la participation d’enfants.

Le besoin d’appliquer le critère des « besoins internes » surgit seulement si une oeuvre renferme des faits sexuellement explicites qui, en eux-mêmes, constitueraient une exploitation indue des choses sexuelles. Il s’agit alors de déterminer si la représentation des choses sexuelles constitue l’objet principal de l’oeuvre ou si elle est essentielle à une fin artistique ou littéraire plus générale ou à une autre fin semblable. L’expression artistique est au coeur des valeurs relatives à la liberté d’expression et tout doute à cet égard doit être tranché en faveur de la liberté d’expression.
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