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Journal de Martine, 6 décembre 1998

Envoyé par Cocteau en date du 6 décembre 1998 à 20h51
J'inaugure ce cahier que j'ai acheté au Dollorama pour une piastre! Sur le couvercle, il y a une belle Sainte-Vierge avec un Jésus sur les genoux. Ça ressemble à une Madone de Michel-Ange ou quelque chose du genre. Je suis pas catholique, pis j'en aurai pas des enfants, mais ça fait rien. En fait, je sais pas ce que je vais y écrire, mais je sais une chose, c'est que comme je suis pas capable de le dire, faut que je trouve un moyen de le sortir, sinon j'vas virer folle.Je sais pas si j'vas être capable de l'écrire même.

Hier, c'était ma fête, pis ma mère à préparer un souper de fête pour mes 18 ans. Paraît que là, je suis majeure! J'avais pas le droit de voter le 30 novembre, mais là tout d'un coup, j'aurais le droit. Pourtant je suis pas plus fine aujourd'hui qu'il y a une semaine! Pis ma mère qui me dit que j'ai maintenant l'âge pour me faire un petit ami... Mon père dit que y'a rien qui presse, mais ma mère a dit que c'est parce qui voudrait que je reste sa petite fille à papa! Pis moé j'en veux pas de gars dans ma vie... J'ai personne, pis j'aurai jamais personne si c'est rien que de moi que ça dépend. Je suis pas faite pour vivre avec du monde...

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Journal de Martine, 8 décembre

Envoyé par Cocteau en date du 8 décembre 1998 à 19h50 en réponse à Journal de Martine, 6 décembre 1998 (reçu de Cocteau le 6 décembre 1998 à 20h51).
J'ai mal au ventre! J'ai eu mal au ventre toute la journée d'hier et encore aujourd'hui. Je suis FEMMMMMME!!! Des fois, je me dis que j'ai dû faire quelque chose de bien bête pour devoir payer de même. C'est pas possible.

J'ai un examen de philo demain, et le travail de session de chimie à finir. J'y arriverai pas. Marc est pas fiable pour le labo, et Aurélie est pas capable d'écrire sans faire dix fautes par ligne. J'ai hâte d'en finir avec ce maudit cours de chimie là.

J'espère que Catherine va accepter de venir voir le film "Elisabeth" avec moi et Sylvie. Je la trouve tellement fine la belle Catou! Sylvie aussi est smatte, mais pas autant que Catou. En tout cas, j'espère que je l'ai pas fâché trop en riant de son maquillage de sorcière, samedi passé.

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Journal de Martine, 19 décembre 1998

Envoyé par Cocteau en date du 19 décembre 1998 à 21h39 en réponse à Journal de Martine, 8 décembre (reçu de Cocteau le 8 décembre 1998 à 19h50).
Je l'avais presque oublié ce petit cahier de la Madonne... Je me retrouve toute seule à la maison. Les parents sont allés dans un party d'amis et j'ai décidé de rester à la maison pour ... rien... J'avais pas le goût de voir la gang du CEGEP qui se réunissait rue Prince-Arthur. En fait, j'avais pas une cenne pour me payer ça. Catou devait y aller avec un dénommé Éric que sa soeur lui a présenté comme cavalier pour le Temps des fêtes. C'est avec lui qu'elle est allée voir le film Elisabeth. Finalement je l'ai pas encore vu. J'ai pu le goût. C'est avec elle que je voulais y aller parce que Catou à ressemble à l'actrice qui joue le rôle de la reine. Une très belle rousse, toute douce d'apparence mais très forte, très décidée. Du monde comme je les aime... qui savent ce qu'ils veulent. Du monde avec qui j'aimerais faire un bout de chemin.

Ma mère veut que je mette une robe pour le party de Noël. "Je suis tannée Martine de te voir toujours avec des corduroys sur le dos...pis tes blouses blanches"! Pauvre Ginette! "Primo je les ai pas sur le dos, mais sur les fesses, que je lui ai répondu, pis vu que j'ai un gros cul, comme toi, pis que j'ai pas envie d'avoir l'air d'une vrai folle, comme toi, avec tes petites jupes écourtichées pis tes bustiers qui te remontent les gros totons jusqu'au menton, ben je préfère porter des culottes pis des blouses". Elle voulait m'étriper quand j'y ai dit ça. Mais je m'en fout! Elle avait pas d'affaire à me dire comment m'habiller. Elle avait les yeux rouges au souper pis mon père m'a dit que si je savais pas mieux vivre avec le monde, je serais mieux de rester cacher dans ma chambre, comme je le fais d'habitude... Y'aurait pas dû me dire ça, lui non plus. Mais j'ai pas rien dit, j'avais un trop gros moton dans la gorge, pis j'avais pas le goût de reprendre la chicane.

Lundi, j'ai un dernier examen en histoire de l'art avec M. De Longuépée. Un beau fifi celui-là, colleux avec tout le monde, mais un peu trop avec les gars qui rient de lui tout le temps. Il ne s'en rend même pas compte, le tarlet. Les gars l'appellent Le Fif, Ma Tante ou La Sacoche qu'en ils parlent de lui! C'est triste, mais il fait rien pour empêcher ça. Avec ses clins d'oeil quand il rentre dans la classe, le menton au plafond, pis le poing sur la hanche... On est pas loin du fif de "La P'tite Vie".

Bon le film de Fellini va commencer à Radio-Québec.

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Journal de Martine, 20 décembre 1998

Envoyé par Cocteau en date du 21 décembre 1998 à 01h15 en réponse à Journal de Martine, 19 décembre 1998 (reçu de Cocteau le 19 décembre 1998 à 21h39).
Ma mère m'a pas parlé de la journée à cause de notre engueulade d'hier. Pis mon père la engueulé à l'heure du souper, quand elle lui a reproché d'avoir flirté avec Thérèse, leur grande chum de quilles, au party d'hier soir. Il lui a ri en pleine face et ils se sont traités de tous les noms devant nous autres. Ma mère est rentrée dans sa chambre en braillant comme un veau. Mon père est quand même allé se coucher dans leur chambre, mais seulement une fois que ma mère s'était endormie, ou faisait semblant de dormir... C'est toujours ça de pris!

J'haïs tellement ça quand ils s'engueulent. Ma mère hurle qu'elle va crisser son camp, pis mon père la met au défi de partir. Pis là ma soeur s'en mêle, traite mon père de tous les noms, pis ma mère en rajoute en le traitant de courailleux pis de cochon. J'haïs tellement ça que je voudrais être n'importe où ailleurs.

J'ose pas m'en mêler... j'ai peur. J'ai peur qu'ils me disent des méchancetés, qu'ils me disnet mes quatre-vérités, parce qu'eux autres ils se payent la traite. Tiens, à soir, ça fini que mon père accusait ma soeur d'avoir couché avec son chum dans le lit de mes parents, pis que ma mère accusait mon frère de lui avoir piqué 20 piastres dans sa sacoche. Le niaiseux de Jérôme qui est allé dire que ma mère avait juste à se faire maigrir si elle voulait plaire à mon père. Moi, j'aime autant me la fermer dans ce temps là.

J'ai vu personne d'autre aujour'hui que cette gang de zouaves.

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Journal de Martine, 21 décembre 1998

Envoyé par Cocteau en date du 21 décembre 1998 à 21h56 en réponse à Journal de Martine, 20 décembre 1998 (reçu de Cocteau le 21 décembre 1998 à 01h15).
Bon! C'est fait! Finie la session! L'examen était nono en masse. J'pense que Longuépée voulait faciliter les choses à ses petits gars préférés. On est allé prendre une bière à la brasserie après, moi, Catou, Sylvie, Mélanie, pis une gang de gars qui bavaient autour de nous autres. J'ai laissé Catou avec son nouveau chum. J'avais pas le goût de la voir heureuse.

En vacances, pis je sais pas quoi faire de mes dix doigts. J'pense que j'vas me chercher une job pour me faire un peu d'argent pour mes sorties. Je suis tannée d'en demander à mon père. Il refuse jamais, mais j'ai de plus en plus de mal à le prendre son argent. J'ai toujours l'impression de pas être sa vrai fille, de pas être vrai avec lui. AU moins, si je gagnais mon argent, j'aurais pas de compte à rendre pis je le dépenserais comme ça me plait, avec qui ça me plait.

J'ai pu le goût d'écrire dans ce maudit cahier... encore rien que des menteries. Je suis même pas capable de dire les vrais affaires... Maudite folle, c'est moi la maudite folle, pas Longuépée, lui y fait sa vie, bâtard!

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Journal de Martine, 22 décembre 1998

Envoyé par Cocteau en date du 22 décembre 1998 à 23h32 en réponse à Journal de Martine, 21 décembre 1998 (reçu de Cocteau le 21 décembre 1998 à 21h56).
Demain, c'est le party du CEGEP. Mon père me prête son char à condition que je boive pas une goutte. Tu parles! Lui, il ne se gêne pas pour boire pis y fait conduire ma mère, même si elle a bu autant que lui en disant que c'est moins grave parce qu'elle a pas besoin du char pour aller travailler... Beau jugement, le père!

J'ai pas le goût d'y aller. Le monde va se matcher comme d'habitude pis les plains vont commencer vers minuit pis j'vas attendre la fin du party parce que un pis un autre va m'avoir demandé un lift.

Au souper, ma mère est revenu de son magasinage, le sourire fendu jusqu'aux oreilles: elle m'a acheté une blouse blanche avec du nid d'abeille sur le devant pis de la dentelle aux poignets et au collet. "Je veux bien que tu laisses faire la robe cette année, mais au moins mets une belle blouse!" J'ai l'air d'une vraie belle moumoune là-dedans. Elle veut absolument que je la porte pour le temps des Fêtes. Sylvie est venue pis je lui ai montrée. Elle dit qu'elle est superbe et que je suis too much dedans. C'est bien ça qui m'inquiète... Sylvie m'a épilé les sourcils pis m'a blondi la moustache. Elle était quasiment invisible, mais je la voyais chaque fois que je me regardais dans un miroir. Demain Sylvie veut me maquiller les yeux. Tout ça pour être belle pour qui, pour quoi ? Je le sais même pas...la folle!

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Journal de Martine, 27 décembre 1998

Envoyé par Cocteau en date du 27 décembre 1998 à 23h36 en réponse à Journal de Martine, 22 décembre 1998 (reçu de Cocteau le 22 décembre 1998 à 23h32).
Christ de vie, de christ! Maudite chienne de vie... Je resterai pas dans cette christ de famille de fous. Ils peuvent se les fourrer où je pense leurs hosties de cadeaux. Je finirai pas l'année ici... c'est pas possible! C'est pu possible!
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Journal de Martine, 28 décembre 1998

Envoyé par Cocteau en date du 28 décembre 1998 à 23h48 en réponse à Journal de Martine, 27 décembre 1998 (reçu de Cocteau le 27 décembre 1998 à 23h36).
J'en ai plein le casque de cette famille de zouaves. Ma mère braille ou boude, mon père a rien d'autres à me dire que: Relaxe, relaxe, laissent nous le temps de digérer tout ça..." Digérer quoi viarge! Y'a rien à digérer ! J'ai rien demandé, moi, j'ai rien dit même... c'est elle qui a commencé tout ça avec sa christ de blouse à frou-frou.

Je retournerai pas au Cegep. Je peux pas rester ici, je vais faire ma vie, comme ça me plaît avec qui me plaît, où ça me plaît. Avec celle qui me plaîra... Oui, celle qui me plaira. Je le dis , je le sais, je le veux, je veux une fille, une femme dans ma vie. Une femme, point final, j'ai pas besoin d'un homme, les gars c'est pas pour moi. Quand y'en a un qui me regarde j'ai toujours l'impression qui veut me... me prendre avec lui, dans ses bras, pis ça m'intéresse pas. Les hommes m'intéressent pas,l'allure des hommes m'intéresse pas. Je suis bien quand je suis entouré de filles comme Catherine, Mélanie, Sylvie. Les gars m'écoeurent.. plus souvent qu'autrement. C'est vrai que j'ai pas ce sentiment là envers mon père, mon frère, mon cousin Stéphane non plus... Martin est bien correct lui aussi, mais c'est pas un homme, en fait, un homme aux femmes...

Demain faut que je parle à mon père pour qu'il m'aide à partir de la maison. Je pourrais prendre une chambre ailleurs, et me chercher une job. Faut que j'en sorte...

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