Position officielle d'Amnistie internationale

DROITS HUMAINS ET ORIENTATION SEXUELLE

Index AI : IOR 41/001/2004
Document public
Février 2004

Lors de la 59ème session de la Commission des droits humains (CDH) des Nations Unies (ONU), le Brésil a introduit une proposition de résolution sous le titre « Droits humains et orientation sexuelle ». Cette proposition de résolution exprimait de la préoccupation face à la présence de violations des droits humains liées à l’orientation sexuelle des personnes, appelait les États à promouvoir et protéger les droits humains de toutes les personnes et demandait au Haut commissariat pour les droits humains ainsi qu’aux procédures spéciales de l’ONU de se pencher sur la question. La proposition de résolution ne visait pas à créer un nouveau corpus de droits, mais cherchait à réaffirmer les principes déjà en vigueur de non-discrimination tel qu’établis par la législation internationale en matière de droits humains. Cependant, la proposition s’est avérée l’un des enjeux ayant le plus suscité une lutte acharnée pendant la session. Le Pakistan, agissant au nom de l’Organisation de la conférence islamique (OIC), a proposé une motion afin que la CDH ne prenne « pas d’action » autour de la proposition de résolution, motion ayant été défaite de justesse. Lors de la dernière journée de la session, la proposition présentée par la présidence de la Commission de reporter la considération de la proposition de résolution jusqu’à la 60ème session a été adoptée par un vote par appel nominal.

Pendant plus d’une décennie, Amnistie internationale (AI) a documenté des abus liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre partout au monde. Ces atrocités incluent la peine de mort, l’emprisonnement, la torture et les traitements cruels et dégradants (y compris le viol et le traitement médical forcé), des attaques aux défenseur-e-s des droits humains des lesbiennes, gais, bisexuel-le-s, transgenres et transsexuel-le-s (LGBT), le refus d’un statut légal aux organisations pour les droits des personnes LGBT ainsi que d’autres formes de discrimination. Dans de nombreux pays, les mauvais traitements infligés aux gens du seul fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre soulèvent peu d’indignation et les personnes qui défendent les victimes de tels abus ont à leur tour été attaquées par le gouvernement ou par d’autres groupes dans la société. Les défenseur-e-s des droits humains qui travaillent sur des enjeux liés à la sexualité se sont de plus en plus adressé-e-s aux mécanismes internationaux des droits humains, y compris ceux de l’ONU, afin de chercher de la protection face à de tels abus.

Pendant les derniers 10 ans, les comités chargés de la surveillance des traités (PIDCP, PIDESC, CDE, CEDF) et les Procédures spéciales de la CDH se sont penchés sur des violations correspondant à tout l’éventail des droits consacrés par les instruments internationaux. De façon cohérente, ces comités de surveillance et ces Procédures spéciales ont appelé les gouvernements à respecter et à promouvoir les droits de tous et toutes sans discrimination sur la base de l’orientation sexuelle. Cependant, dans les instances politiques de l’ONU, y compris dans la CDH et dans les Conférences mondiales, les gouvernements ont résisté de manière systématique à reconnaître l’existence de telles violations, enlevant toute référence à « l’orientation sexuelle » des résolutions de la CDH et des instruments adoptés lors des Conférences mondiales, par exemple lors de la 4ème Conférence mondiale de l’ONU sur les femmes, à Beijing, en septembre 1995. Si la proposition de résolution du Brésil est adoptée, cela représenterait une importante reconnaissance, par les gouvernements qui siègent à la CDH, des droits qui ont été affirmés, consolidés et promus par les mécanismes d’experts de l’ONU depuis il y a plus d’une décennie.

Violations des droits humains liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre

Dans certains États, les personnes qui sont perçues comme étant homosexuelles continuent d’être condamnées à mort, dans certains cas seulement du fait de leur orientation sexuelle. AI a récemment manifesté sa préoccupation concernant un cas aux Etats-Unis où la partie plaignante a soulevé l’homosexualité de l’accusé pendant le procès afin d’obtenir la peine capitale. À travers le monde, des personnes LGBT subissent de la torture ou des mauvais traitements aux mains de représentants de l’État qui cherchent à obtenir d’eux ou d’elles des aveux de « déviance », ou qui les violent pour les « guérir » d’une telle déviance.

La Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires continue de recevoir des rapports au sujet de personnes ayant subi des menaces de mort ou des exécutions extrajudiciaires en lien avec leur orientation sexuelle ou avec leur identité de genre. Depuis 2002, une référence à des « meurtres commis pour tout motif discriminatoire, y compris l’orientation sexuelle » a été incluse dans la résolution de la CDH au sujet des « exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires », malgré une forte opposition de la part de certains pays, y compris ceux qui appartiennent à l’OIC.

AI a reçu des dizaines d’allégations de torture et de mauvais traitements en détention, qui indiquent que le risque est plus élevé dans les postes de police, particulièrement pendant la période initiale de détention. Le cas du « Queen Boat » en Égypte, a été pris en charge par le Comité des droits humains, le Comité contre la torture, le Groupe de travail sur les détentions arbitraires et le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, tous de mécanismes de l’ONU, ainsi que par le Parlement européen. Le Groupe de travail sur les détentions arbitraires a clairement affirmé que la détention des personnes sur la base de l’argument « que, du fait de leur orientation sexuelle, elles incitaient à la ‘dissension sociale’, constitue ou a constitué une privation arbitraire de la liberté ».

La Rapporteuse spéciale sur la violence faite aux femmes a remarqué que, « à moins que les femmes soient enfin vues comme des êtres individuels ayant le droit de déterminer leur sexualité, leur position sociale inférieure continuera de permettre la violence contre elles. » Cela dit, la prévalence sociale du sexisme et de l’homophobie crée un climat où les lesbiennes sont en situation de haut risque d’abus. AI a documenté des cas de jeunes lesbiennes qui se sont faites tabasser, violer et attaquer par des membres de leur famille pour les punir et briser leur esprit. Indépendamment de comment elles se considèrent elles-mêmes, les femmes qui sont perçues par autrui comme étant attirées par d’autres femmes se retrouvent en situation de risque particulier de mauvais traitements dans des sociétés où elles sont vues comme porteuses de « honte » pour leur famille ou leur communauté.

Partout au monde, des organisations ont émergé pour défendre les droits des personnes LGBT et pour travailler sur les rapports entre les droits humains et la sexualité. Fréquemment, ces organisations font face à des obstacles particuliers qui incluent la stigmatisation sociale, les attaques physiques et le refus d’un statut légal. En 2001, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les défenseur-e-s des droits humains a fait remarquer que ceux et celles qui défendent les droits humains en lien avec la sexualité se trouvent en une situation particulière de risque de répression et de marginalisation.

Un nombre réduit de personnes LGBT relativement à l’ensemble de celles qui subissent la discrimination ont réussi à fuir leur pays d’origine pour chercher refuge devant la persécution. Cependant, beaucoup de pays sont encore réticents à accorder l’asile à des gens qui craignent la persécution liée à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre.

La définition de réfugié-e ne fait pas référence explicite à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre. Cependant, il a été amplement reconnu dans la jurisprudence, dans la pratique courante de certains États et dans les lignes directrices que le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a émis en tant qu’autorité en la matière, que les gens qui partagent une même orientation sexuelle peuvent constituer un « groupe social particulier » sous la Convention pour les réfugiés.

Amnistie internationale (AI) considère l’utilisation des lois contre la « sodomie » – en vigueur dans au moins 70 États – pour emprisonner des hommes et des femmes suite à des rapports homosexuels librement consentis et en privé comme une violation grave des droits humains, dont le droit à la vie privée, à demeurer libre de discrimination, à la libre expression et à la libre association. Une telle utilisation a été également condamnée par le Comité des droits humains, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, et le Comité pour l’élimination de la discrimination envers les femmes. Depuis 1999, le Comité des droits humains a appelé les États non seulement à abroger leurs lois criminalisant l’homosexualité mais aussi à inclure dans leur Constitution l’interdiction de toute discrimination liée à l’orientation sexuelle. AI a également dénoncé le viol et la torture d’hommes et de femmes en détention en Ouganda, où l’homosexualité est une offense criminelle.

Amnistie internationale exhorte la Commission des droits humains à :

  • adopter une résolution affirmant l’universalité des droits humains et condamnant les violations des droits des individus liées à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre;
  • appeler les États à promouvoir et à protéger les droits humains de tous les individus indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre;
  • appeler les États à soutenir les recommandations émises par les comités de surveillance des traités internationaux et par les Procédures spéciales afin de mettre fin aux violations des droits humains liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre.

Des informations supplémentaires concernant ces enjeux :

Les documents suivants sont disponibles dans les bureaux des sections d’Amnistie internationale, au Secrétariat international à Londres et dans les bureaux d’Amnistie internationale aux Nations Unies tant à Genève qu’à New York. La plupart de ces documents sont disponibles sur le site web d’AI :

Documents généraux

  • Rapport 2003 d’Amnistie internationale (Index AI : POL 10/003/2003)
  • Déclarations et communiqués émis par Amnistie internationale pendant la 59ème session de la Commission des droits humains de l’ONU (Index AI : IOR 41/016/2003)
  • Nations Unies : Propositions visant à renforcer les comités de surveillance des traités (Index AI : IOR 40/018/2003)

Droits humains et orientation sexuelle

  • Argentine : Vanessa Lorena Ledesma et des menaces réitérées à l’endroit d’autres personnes transgenres dans la province de Cordoba (Index AI : AMR 13/015/2001)
  • Équateur : Fierté et préjugés : Il est temps de briser le cercle vicieux de l’impunité suite aux abus à l’endroit des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et transsexuelles (Index AI : AMR 28/001/2002)
  • Égypte (cas d’appels) : Les quatorze de Gizeh – Emprisonnement pour orientation sexuelle réelle ou présumée (Index AI : MDE 12/028/2003)
  • Égypte (cas d’appels) : Emprisonnement pour orientation sexuelle réelle ou présumée à Agouza (Index AI : MDE 12/031/2003)
  • Honduras: Violations des droits humains des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et transsexuelles (Index AI : AMR 37/014/2003)
  • Etats-Unis (Caroline du nord) : Action urgente. Edward Ernest Hartman (Index AI : AMR 51/123/2003 et AMR 51/126/2003)
  • Etats-Unis : Amnistie internationale lance à nouveau l’appel à une enquête face à des abus homophobes par des officiers de police à Chicago (Index AI : AMR 51/092/2001)
  • Identité sexuelle et persécutions. (Index AI : ACT 40/016/2001)
  • Commission des droits humains des Nations Unies : L’universalité menacée dans le cadre de la résolution sur l’orientation sexuelle (Index AI : IOR 41/013/2003)

© AILGBT (date de modification : 2004/03/12)